Expo Ailleurs : Le chant des étoiles - Fabienne Verdier - Musée Unterlinden - Colmar - Prolongation jusqu'au 15 mai 2023

Vide Vibration (2018) Fabienne Verdier
Don Coucou bazar (1973) - Cycle de l'Hourloupe - Jean Dubuffet
 

Fabienne Verdier, peintre, calligraphe, investit le Musée Unterlinden de Colmar à l’occasion d’une vaste monographie, « Le chant des étoiles ». En 2019, la commissaire Frédérique Goerig-Hergott alors conservatrice en chef du patrimoine, en charge des collections d'art moderne et contemporain, lance une invitation à l’artiste. Elle lui propose une carte blanche. Le projet se voit ajourner par la pandémie mondiale et la succession des périodes de confinement. Durant ce temps en suspens, période mortifère, Fabienne Verdier développe une réflexion sur la représentation de la mort, les énergies vitales, le deuil, la consolation. Inspirée par les œuvres conservées au sein de l’institution alsacienne, elle livre le fruit de ses méditations existentielles en lien avec les collections et l’architecture. L’installation monumentale, dédiée aux disparus du Covid, se compose de soixante-seize tableaux déployés dans l’espace d’exposition temporaire, au sommet de l’Ackerhof, annexe contemporaine réalisée par les architectes Herzog et de Meuron, chapelle laïque. Placée en regard avec les chefs-d’œuvre du musée, une sélection de tableaux réalisés entre 2006 et 2018 ponctue le parcours permanent, au fil des âges, des courants esthétiques, du XIVème siècle au XXème siècle. Le dialogue avec les maîtres, des primitifs flamands jusqu’aux modernes, inscrit sa démarche dans l’histoire de l’art, établit un rapport de filiation, de la figuration vers l’abstraction calligraphique. 


Cétus - Série Ainsi la nuit (2018) - Fabienne Verdier / Inspiré par les
vibrations du quatuor à cordes "Ainsi la nuit" (1971-1977) d'Henri Dutilleux

Petit sang du Christ (2011) - Fabienne Verbier
D'après "La Vierge au chanoine Van der Paele" de Van Eyck

Gunesh et Ahu-Lani - Série Rainbows (2022) - Fabienne Verdier

Retable d'Issenheim - La Résurrection - Martin Schongauer

Musique - Mutation étude Clavecin n°1 (2018) Fabienne Verier
Clavecin (1624) - Ionnes Ruckers


Au Musée d’Unterlinden, Fabienne Verdier s’interroge sur l’art comme moyen d’appréhender l’idée de la mort inhérente à la condition humaine. La plasticienne s’affranchit des dogmes religieux et artistique pour suggérer une forme de spiritualité alternative, principes consolatoires, réconforts optimistes. Elle trace des parallèles entre les finitudes humaine et stellaire, la mort des étoiles, les morts du Covid. Le chef-d’œuvre du Musée Unterlinden, le Retable d’Issenheim, polyptique de Martin Grünewald, composé de dix panneaux de bois (1412-1416) et de reliefs sculptés (circa 1490) signés Nicolas de Haguenau, était un objet de dévotion auquel les fidèles attribuaient des pouvoirs de guérison. Il a inspiré Fabienne Verdier dont l’attention a été retenu par le panneau lumineux de la Résurrection, allégorie la vie après la mort plutôt, que le plus célèbre, celui de la Crucifixion, composition dramatique. 

En prélude de l’exposition, « Cetus » triptyque inspiré par les ondes sonores du quatuor à cordes « Ainsi la nuit » (1971-1977) d’Henri Dutilleux, rappelle l’importance de la musique pour la peintre mélomane. Fabienne Verdier rythme les panneaux selon les structures abstraites de la musique, accord et concordances, déambulations nocturnes et mouvement des astres. « Cetus » appartient au cycle des tableaux de promenade, « Walking paintings » caractérisés par technique d’écoulement de la peinture à l’aide d’une poche à douille. L’hybridation des savoir-faire, des connaissances, des pratiques se nourrit de l’inventivité technique et plastique, 

« Petit sang du Christ » (2011) revendique une filiation avec Jan van Eck, peintre du XVème siècle. Les motifs abstraits convoquent les « plaies sanglantes du Christ », flux vital traduit dans le dynamisme de matière propre à la calligraphie art du geste.  Les deux premiers éléments de la série « Rainbow » (2022) s’inscrivent dans l’idée d’une abstraction en mouvement, animée par le jaillissement de la lumière, l’irruption de la couleur. Dans la salle de musique, « Clavecin » étude numéro 1, rend compte d’une collaboration avec le claveciniste et organiste Bernard Foccroulle. En 2018, le musicien commande à Fabienne Verdier un panneau décoratif pour son instrument, lequel a été réalisé d’après le clavecin Ruckers (1624) conservé au Musée Unterlinden. La plasticienne réalise une série de quatre tableaux sur bois, que Bernard Foccroulle alterne tout au long de ses concerts.  



Clairvoyance (2006) - Fabienne Verdier
Mélancolie (1532) - Lucas Cranach l'Ancien

Ascendance - Trilogie 
Série Energies blanches (2018) - Fabienne Verdier

Ascendance - Trilogie - Fendre les flots - Synchronie
Série Energies blanches (2018) Fabienne Verdier

Nuit fluide - Remonter le fleuve 
Série Energies blanches (2018) Fabienne Verdier

Nuit fluide - Remonter le fleuve - Ascendance - Trilogie
Série Energies blanche (2018) Fabienne Verdier


A l’entresol, la scénographie place en vis-à-vis « Clairvoyance » (2006) et « La Mélancolie » (1532) de Lucas Cranach l’Ancien, deux œuvres parcouru d’un même geste lyrique qui traduit les angoisses existentielles, l’idée de la transcendance, les paradoxes, souffrance et espoir, violence et apaisement. 

La série « Energies blanches » (2018) est exposée dans la Maison, espace de connexion entre la nouvelle extension et l’ancien couvent qui surplombe le canal de la rivière Sinn. Les six diptyques rendent hommage aux forces de la nature, le vent, l’eau, la pluie, le flot des cours d’eau, que convoquent volutes, spirales, ondes, vibrations et flux abstraits. 



La Dormition (2012) Fabienne Verdier
D'après La dormition de la Vieerge de Hugo van der Goes

Lévite d'Ephraïm (1895) Jean-Jacques Henner

Carnets d'ateliers (2019-2022) - Fabienne Verdier

Ceinture de Saint luc II (2012) Fabienne Verdier
D'après Saint Luc dessinant la Vierge (1435-40) de Rogier van der Weyden
Composition murale (1965-1967) Serge Poliakoff

Ascèse (2012) Fabienne Verdier


Dans l’espace réservé à la collection XIXème siècle, « Dormition » (2012), et « Lévite d’Ephraïm » (1895) de Jean-Jacques Henner représente la mort. Fabienne Verdier interprète le mystère dans un rai de lumière horizontal traversant la toile, syncrétisme de lumière et d’énergie, minimalisme du geste. Le cabinet d’art graphique met en valeur le travail préliminaire de l’artiste au sein de son atelier à Hédouville dans le Val d’Oise. Croquis préparatoires, carnets couverts d’annotation précises, foisonnement des grandes interrogations existentielles éclairent la pratique artistique et ke cheminement personnel.

Le premier niveau de l’Ackerhof, l’annexe contemporaine, accueille « Ceinture de Saint Luc II » (2012) vaste triptyque peint en référence au tableau « Saint Luc dessinant la Vierge » de Rogier van der Weyden, et plus particulièrement au détail de la ceinture de saint Luc. L’oeuvre est placée aux côtés de « Composition murale » (1965-1967) de Serge Poliakoff, rapprochement soulignant l’abstraction radicale, la profondeur des couches picturales, la spiritualité et le sacré. 

Le triptyque « Vide vibration » (2018) rend compte de la rencontre entre Fabienne Verdier et le linguiste Alain Rey à l’occasion de l’édition du cinquantième anniversaire du dictionnaire Le Petit Robert, pour laquelle l’artiste réalise des illustrations abstraites. La série de vingt-deux toiles s’inspire de couples de mots en rapport avec l’astrophysique, Cercle-Cosmos, Force-Forme, Voix-Vortex etc. Fabienne Verdier échange avec l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan, professeur émérite de l’Université de Virginia. Ce dernier lui explique que le vide n’existe pas. L’univers est rempli d’atomes en mouvement. La prolifération des formes cellulaires du cycle de l’Hourloupe de Jean Dubuffet résonne puissamment avec cette idée de l’énergie du monde en expansion. Effets de matière, figure du cercle chère à l’artiste, « Ascèse » (2012) place l’auteur du geste au centre de la composition dans la continuité du mouvement calligraphique, évocation du vide, de l’infini.



Rainbows (2019-2022) Grand Vortex d'Unterlinden (2021-2022)

Rainbows (2019-2022) Fabienne Verdier

Rainbows (2019-2022) Grand Vortex d'Unterlinden (2021-2022)

Rainbows (2019-2022) Fabienne Verdier

Rainbows (2019-2022) Fabienne Verdier


Au sommet de l’Ackerhof, la grande nef d’exposition temporaire, accueille la série « Rainbows » (2019-2022) réalisée au cours de la pandémie, durant les différentes phases confinement. Chaque tableau porte le prénom d’un mort du Covid. L’ensemble des prénoms en rapport avec le ciel, les étoiles, la lumière, a été recensé par des linguistes du monde entier à l’occasion d’un travail de recherche. Durant cette période, Fabienne Verdier porte un nouveau regard sur sa pratique artistique et cherche à repenser la représentation de la mort. Pour dépasser les notions d’angoisse, de deuil, de douleur, elle invente une nouvelle iconographie susceptible de préserver la santé mentale et de soutenir le concept de transfiguration.    

Les auras des disparus emportés embrassent toutes les couleurs du spectre chromatique emprunté au panneau de la Résurrection du Retable d’Issenheim. Les halos reprennent le motif de l’Auréole christique, essence de la lumière, synthèse entre l’humanité et le sacré. Le « Grand Vortex d’Unterlinden » (2021-2022), en accord avec les théories d’astrophysique, nourrit l’idée que la mort n’est pas une fin, que le flux d’énergie se perpétue, se communique au grand tout cosmique tout en évoquant les motifs tourbillonnants du panneau de la Résurrection. 

Cloître, chapelle, salle de musique, entresol, collection XIXème, Ackerhof, le parcours de l’exposition « Le chant des étoiles » se fait cheminement méditatif, à la fois chasse au trésor et itinéraire poétique. Il invite à poser un regard apaisé sur le concept de mort, questionne la présence du divin. Par le biais de la contemplation empreinte d’une essence toute spirituelle, Fabienne Verdier embrasse les notions de disparition, de transfiguration.

Le chant des étoiles - Fabienne Verdier 
Prolongement jusqu’au 15 mai 2023

Musée Unterlinden
Place des Unterlinden - 68000 Colmar
Tél : 03 89 20 15 50
Horaires : Ouvert du mercredi au lundi de 9h à 18h - Fermé le mardi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.