Ailleurs : Eglise Saint Joseph du Havre, chef-d'oeuvre testamentaire de l'architecte Auguste Perret

 


L’Église Saint-Joseph du Havre, chef-d’œuvre de l’architecture du XXème siècle signé Auguste Perret (1874-1954), témoigne des débuts du modernisme. Construit entre 1951 et 1957, cet édifice hors normes - cinquante-mille tonnes de béton, sept-cents tonnes d’acier - se caractérise par son audace formelle, ses dimensions de gratte-ciel. Le bâtiment, fruit de prouesses techniques, incarne l’aboutissement des possibilités du béton, expression magistrale de ce matériau. Il renouvelle les canons de l’architecture religieuse. Développé autour de modules carrés, le plan général de l’édifice se recentre autour d’une tour-lanterne octogonale, haute de cent-sept mètres, qui fait corps avec le socle carré où sont déployés chœur et nef. Auguste Perret a pris le parti de la verticalité. La tour entièrement ajourée, puit de lumière, renforce le sentiment d’élévation spirituelle et la portée allégorique. Le regard est aspiré vers le ciel dans un mouvement ascendant. Point de repère, visible à plus de soixante kilomètres au large par beau temps, l’église Saint-Joseph du Havre est le premier bâtiment visible depuis l’estuaire de la Seine. Ce lieu de mémoire dédié aux victimes des bombardements symbolise la reconstruction de l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, et la renaissance du Havre, ville martyre. Mémorial de guerre et église paroissiale, l’édifice se veut phare spirituel. 

L’unité esthétique de l’édifice religieux résulte de la collaboration entre l’architecte Auguste Perret et Marguerite Huré (1895-1967) artiste et maître-verrier. Intérieur et extérieur contrastent. Les claustras préfabriqués en béton qui ornent la façade impose une pureté de la ligne. A l’intérieur le béton brut est souligné par l’opulence de milliers de carreaux de verre de couleurs agencés en fonction de l’orientation, surgissement de la lumière. Ces vitraux imaginés par Marguerite Huré introduisent « une symbolique non-figurative dans l’art sacré contemporain ».









Au cours de la Bataille de Normandie (6 juin 1944 - 29 août 1944), durant la Seconde Guerre Mondiale, le centre-ville du Havre est entièrement détruit par les bombardements Alliés. Du 5 au 11 septembre 1944, deux-mille tonnes de bombes explosives, trois-cent-mille bombes incendiaires sont déversés sur la ville. Le 14 juin 1944, l’église Saint Joseph du Havre, inaugurée en 1873, est endommagée par une bombe américaine. Le 5 septembre 1944, l’édifice est rasé par une seconde salve. La reconstruction de du Havre dans les années 1950 est confiée à l’architecte Auguste Perret. Féru des théories du classicisme structurel, il souhaite raser les derniers vestiges anciens de la ville pour la rebâtir entièrement sur dalle. L’opposition publique rend le financement difficile. L’architecte renonce aux destructions supplémentaires. 

Depuis le début de sa carrière, il mène une réflexion sur la thématique de l’église, pour inventer un nouveau type d’édifice religieux adapté à l’exploitation du béton armé. Depuis la cathédrale d’Oran édifiée entre 1903 et 1913 par la société des frères Auguste et Gustave Perret sur des plans de l’architecte Albert Ballu, jusqu’à l’église Notre-Dame-du-Raincy en 1923, surnommée « la Sainte Chapelle du Béton », il perfectionne sa technique, cherche à tirer parti des spécificités de ce nouveau matériau. En 1926, à l’occasion du concours de l’église Sainte Jeanne d’Arc à Paris, projet non-réalisé, il trace des plans originaux, un immense clocher posé sur une nef socle. Pour l’église Saint-Joseph du Havre, Auguste Perret reprend l’idée d’un édifice établi sur une base carrée, articulé autour du maître autel qui occupe le centre de la nef, et surmonté d’une tour-lanterne haute de cent-sept mètres. 









La première pierre est posée le 21 octobre 1951. Tout au long du processus, l’architecte proche de l’abbé Marcel Marie réfléchit à l’esthétique du projet en collaboration avec l’ecclésiastique. Athée, il se fait baptiser par le prêtre peu de temps avant son décès. A la mort d’Auguste Perret, Raymond Audigier poursuit l’ouvrage secondé par Georges Brochard collaborateur de l’atelier Perret, et Jacques Poirrier. Le gros oeuvre est achevé en octobre 1956 avec la tour lanterne. Le chœur finalisé en en 1957, l’édifice est inauguré en février. L’église et rendue au culte le 22 mars 1959. Autel et autres aménagements intérieurs conçus par l’architecte Guy Verdoïa seront terminés en 1964. La bénédiction et la consécration du maître autel par Monseigneur Martin, évêque de Rouen, ont lieu le 1er mai 1964 

L’église Saint Joseph du Havre représente un tour de force technique. Etablie selon un plan carré de 40,6mètres de côté, elle nécessite des fondations exceptionnelles. Soixante-et-onze pieux Franki, longs de quinze mètres soutiennent l’édifice. La tour-lanterne, qui exerce une charge de mille tonnes à chaque angle, est assise sur un groupe de seize piliers, réunis en groupe de quatre par des croix de Saint André, tirants en béton précontraints par recours aux articulations Freyssinet. Ils reposent sur des puits tubés de même longueur, ancrés au sol dans une semelle de béton de 6,50m2 et deux mètres d’épaisseur. Les colonnes soutiennent les bas-côtés, la tribune et la chapelle. L’ensemble est comprimé à taux variable afin que l’ouvrage puisse résister aux vents violents. Un escalier hélicoïdal à l’intérieur de la tour permet d’accéder aux cloches. 








L’introduction de l’abstraction lyrique dans le cadre des édifices religieux, réflexion esthétique entamée dans l’Entre-deux-guerres par Marguerite Huré artiste-peintre et maître-verrier caractérise l’intérieur du bâtiment. Six-mille-cinq-cents verres colorés, introduisent la couleur et la lumière. Les carreaux soufflés à la bouche dans les ateliers de Saint-Just-sur-Loire selon une technique traditionnelle offre une grande variété de tons et de nuances grâce à l’irrégularité du verre. Chaque élément est unique. 

Les vitraux ont fait l’objet d’un traitement différencié selon l’orientation finale. A l’est, la palette chromatique embrasse des tons rose, or, vert qui symbolisent la nativité. Au sud or et orange « la puissance de l’Esprit, la splendeur et la gloire de Dieu ». A l’ouest rose et rouge, action et force. Au nord le bleu, la Vierge le ciel. Dans la tour, les vitraux s’éclaircissent en rejoignant le sommet de sorte à renforcer l’afflux lumineux.









Oeuvre de l’architecte Guy Verdoïa et du sculpteur Marcel Adam, l’autel central taillé dans un bloc de granit du Tarn, lourd de sept tonnes est surmonté d’un dais métallique. Seuls vestiges de l’ancienne église, deux statues de dévotion en bois du XVIIIème siècle, la Vierge et Joseph, ont été disposé au sud et au nord. Dans la tribune, l’orgue à tuyaux réalisé par le facteur Alfred Kern en 1966 pour la chapelle Saint Thomas du Havre, désormais détruite, a été installée dans l’église Saint Joseph en 2005.

Le béton ayant été corrodé par l’air marin chargé en sel, l’édifice a fait l’objet entre 2003 et 2005 d’une campagne de restauration menée par l’entreprise Lanfry de Roue, appuyée par Jean-Pierre Aufry, expert international du béton armé. Vitraux et scellements métalliques ont également fait l’objet d’une rénovation à cette occasion.

En façade, une croix réalisée par Patrice Delaune, sculpteur havrais, a été bénie et posée le 5 juin 2016 au-dessus de l’entrée principale.








Inscrite à l’inventaire des Monuments historiques le 11 octobre 1965, l’église Saint Joseph du Havre a acquis rapidement une reconnaissance institutionnelle, du fait des qualités patrimoniales de l’édifice. L’ensemble du centre-ville du Havre reconstruit par Auguste Perret dans les années 1950 est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2005, exemple remarquable des prémices du modernisme en matière d’architecture. L’église Saint Joseph est classée aux Monuments historiques le 29 janvier 2018. 

Eglise Saint Joseph Le Havre
130 boulevard François Ier - 76600 Le Havre
Tél : 02 35 46 34 57



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.