Cinéma : Decision to leave, de Park Chan-Wook - Avec Tang Wei, Park Hae-il, Go Kyung-pyo

 

A Busan, peu d’enquêtes résistent à la diligence de Hae-jun, inspecteur de police réputé. Pourtant, il est frappé d’insomnie chronique. Son épouse travaille dans une autre ville et ne le rejoint que le week-end. Leur mariage s'étiole. La nuit, à défaut de dormir, Hae-jun, un peu voyeur, vaguement monomaniaque, monte des planques pour surveiller sans motif des anonymes. Une nouvelle affaire se présente. Le cadavre d’un alpiniste chevronné a été retrouvé au pied d’un piton montagneux. Accident ? Suicide ? Meurtre ? L’impassibilité de la veuve, la belle Seo-rae, une immigrée chinoise qui parle à peine coréen et dont le passé demeure obscur, la rend suspecte. Au lendemain du décès, elle reprend son travail auprès de personnes âgées sans faire preuve de plus d’émotions. Au fur et à mesure des interrogatoires et des entrevues à l'extérieur, Hae-jun s’éprend de cette femme intrigante qui le déstabilise. Attraction qui semble mutuelle. Et vire à l’obsession.







Onzième long métrage de Park Chan-wook, réalisateur de « Old boy » en 2003 et « Mademoiselle » en 2016, « Decision to leave » a été distingué par le prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2022. Le cinéaste convoque ici Eros et Thanatos et fait basculer son film noir, de l’enquête criminelle vers l’histoire d’amour contrariée. Il s’approprie les codes du genre pour mieux les bousculer. L’évolution radicale des enjeux, de la résolution du crime vers cette romance du policier qui s’éprend de la suspecte, prend le temps nécessaire afin de plonger le spectateur dans les ambiguïtés des relations. Tandis que les personnages jouent l’un avec l’autre, Park Chan-wook explore les rapports humains, sortilèges de la tension sexuelle inassouvie, envoûtements de la sensualité, effleurements et frustration. 

Dans « Decision to leave », les atmosphères nocturnes, ville de néon, baroque crépusculaire répondent à l’évocation des contemporanéités numériques, incrustations des écrans de téléphone, de montre connectée. La composition minutieuse, art de la mise en scène, fourmille de détails. Le cinéaste lance des pistes, dédale vertigineux et résolution en suspens. Virtuose, Park Chan-wook associe la sophistication narrative et l’élégance formelle au service d’une esthétique singulière, un style unique. L’alternance des points de vue sur une même scène sert l’architecture complexe du récit. La maîtrise dramaturgique s’inscrit dans le prolongement d’une inventivité plastique propice à la poésie.





Le cinéaste réalise en creux une étude de caractère fascinante. Il décrypte avec grâce et perversité les manipulations d’un face à face tendu. Le policier confronté à des dilemmes moraux se laisse tenter par les transgressions. La femme fatale prend le risque de se révéler. Dans ce thriller vénéneux, hypnotique, les apparences trompeuses dissimulent les émotions brutes. La part d’ombre fait irruption dans l’intrusion de l’étrange, du rêve. Park Chan-wook rend compte de la complexité de la psyché, plongée vibrante dans l’âme humaine. Dans un constat désespéré, il autopsie le désir, la colère, la puissance sensible des êtres. Sentiment d’irréalité. Vertige. Passion et pulsions frustrées. 

Decision to leave, de Park Chan-Wook
Avec Tang Wei, Park Hae-il, Go Kyung-pyo, Park Yong-Woo, Lee Jung-Hyun
Sortie le 29 juin 2022



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.