Expo : Le royaume des clowns - Le Bicolore - Maison du Danemark - Jusqu'au 8 mai 2022

 

Les clowns, les fous, les faux idiots incarnent le rire salvateur quand la société d’effondre, dernier rempart contre le désespoir. Leurs interventions malaisantes, percutantes, désacralisent les tabous. Ces figures circassiennes, trouble-fêtes revendiquent la liberté de parole, de pensée. Porteuses d’une euphorie inquiétante, ces personnages ambigus, équivoques de la culture populaire, oscillent constamment entre la joie naïve de l’enfance et l’angoisse horrifique. Les manifestations du clown dans l’art contemporain embrassent la démesure des comportements excessifs, hyperboliques. Les plasticiens jouent des stéréotypes paradoxaux en puisant à la source du rire une fonction émancipatrice. Les archétypes risibles ou dangereux portent en eux le germe de la critique sociétale. Le clown incarne la dualité de la nature humaine, derrière le masque de la face bouffonne se trouve toute la noirceur du monde. Le Bicolore, plateforme de l’art contemporain danois à Paris, présente une exposition collective de plasticiens s'appropriant le motif du clown. Projet pluridisciplinaire curaté par deux commissaires français, Pierre-Alexandre Mateos et Charles Teyssou, « Le royaume des clowns » investit le deuxième étage de la Maison du Danemark. La transgression clownesque lance des ponts entre les scènes artistiques et les pratiques, renouvelant des dialogues polémiques. Critique des conservatismes, dénonciation des hypocrisies du monde contemporain, éclairage inédit du ridicule des postures politiques. 


Magnus Andersen

My own country (2005) Lise Harlev

Rasmus Myrup

Jens Haning

Pinocchio 1940 (2021) Tora Schultz


Pinocchio (1940) Tora Schultz


L’espace Bicolore à la Maison du Danemark revendique une double fonction de catalyseur et de révélateur propice à faire connaître la scène artistique danoise à Paris. L’exposition « Le royaume des clowns » s’inscrit dans la tradition nordique de la muséographique pensée à la façon d’un terrain de jeu. Au sol, les commissaires ont recréé la signalétique du plateau de Dogville (2003), film de Lars von Trier. Le Dogme95 a été fondé sous l’impulsion de ce dernier et de Thomas Vinterberg. Ce mouvement cinématographique a donné naissance à des œuvres marquantes, peuplées de personnages flirtant avec les limites, telles que « Festen » de Vinterberg et « Les Idiots » de Lars von Trier en 1998. 

Figures de l’insolence et du divertissement, les clowns empruntent le chemin du jeu et de la farce dans une quête de la polémique. Le canular, la satire acerbe tout autant que la farce procède d’une posture antisystème. Par leur comportement, ils provoquent le doute, le vacillement de l’ordre établi, bousculent les hiérarchies. Les artistes contemporains reprennent à leur compte ces silhouettes grimaçantes dans un processus de décalage par rapport à la réalité. Les imbéciles utiles, les clowns faussement idiots rendent compte dans leur esthétique du délabrement physique et moral de nos sociétés. Décomposition des structures, pessimisme radical, les œuvres exposées offrent un éclairage alternatif sur notre contemporanéité, antidote à l’absurdité du monde. Les compositions jamais évidentes qui interrogent le réel nécessitent un temps d’explication des dynamiques créatrices afin de mieux les appréhender.

« Le royaume des clowns » des années 1960 à nos jours, fait le lien entre la France et le Danemark par le biais des Situationnistes. En 1963, l’Internationale situationniste organise sa seule et unique exposition Destruction of the RSG 6. Guy Debord présente « Stand de tir » (1963) dont les mires sont des portraits des dirigeants des nations nucléarisées, ceux qu’ils désignent comme les clowns modernes. L’année suivante, Jorgen Nash à la tête du groupe situationniste danois, artiste plus tard associé au mouvement Cobra, décapite la statue de la Petite Sirène d’Andersen dans le port de Copenhague pour en faire un symbole transgressif révolutionnaire.


Christian Falsnaes

Julian Luxford (2021) Esben Weile Jaer

Julian Luxford (2021) Esben Weile Kjaer

Sahar Jamili

Destruction of the RSG 6 Stand de tir (1963) Guy Debord

Laughing gas house for children (1998) Henrik Plenge Jakobsen


Farce tragique, perverse, la démarche déconcertante du clown cherche à éveiller les consciences. Le propos volontiers acide décape. Dans le cadre de l’espace Bicolore, « Laughing gas house for children (1998) d’Henrik Plenge Jakobsen dénonce l’injonction au bonheur des sociétés scandinaves. L’installation représente une maison jouet destiné aux enfants, raccordée à une bonbonne de protoxyde d’azote, le célèbre gaz hilarant. 

Le ballon gonflable monumental signé Esben Weile Kjaer, « Julian Luxford » (2021) représente un double idéalisé passé par les filtres des réseaux sociaux et les mains des chirurgiens hollywoodiens, miroir des vanités contemporaines, reflet narcissique monstrueux. « Pinocchio 1940 » (2021) de Tora Schultz, associe violemment le monde de l’enfance et la sexualité par le biais d’un gode-ceinture à tête de personnage de conte. Rasmus Myrup conçoit des assemblages végétalisés anthropomorphiques inquiétants, épouvantails qui incarnent les problématiques sociétales actuelles. 

Dans le film très daté « Three girls and a pig » (1972) Ursula Reuter Christiansen dénonce le patriarcat dans une mise en scène macabre autour de trois femmes, au bout de laquelle un porcelet est castré. On repassera pour la cause animale. Plus loin, Line Finderup Jensen explore les vertus supposées cathartiques de la pornographie, littéralement prise en main par une réalisatrice féministe. La vidéo, mise en scène virtuelle, censée dénoncer le male gaze sombre rapidement dans la complaisance. Douteux.

Les slogans de Lise Harlev, « My own country » (2005) jouent sur les ambiguïtés pour dénoncer le nationalisme et la xénophobie. Magnus Andersen produit des peintures à la naïveté grinçante. Le vestiaire de Sahar Jamili dévoile la monstruosité des êtres qui portent les vêtements négligemment présentés sur un portant. 

Le royaume des clowns
Jusqu’au 8 mai 2022

Le Bicolore
Deuxième étage de la Maison du Danemark
142 avenue des Champs Elysées - Paris 8
Horaires : Du mardi au dimanche, de midi à 18h
Tél : 01 56 59 17 44

Liste des artistes « Le royaume des clowns »
Magnus Andersen / Ursula Reuter Christiansen / Christian Falsnæs / Jens Haaning / Lise Harlev / Sidsel Meiniche Hansen / Henrik Plenge Jakobsen / Sahar Jamili / Line Finderup Jensen / Esben Weile Kjær / Peter Land / Ann Lislegaard / Rasmus Myrup / Tora Schultz  / Lars von Trier / Knud Vesterskov / Co-Ritus / Situationist Internationale



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.