Cinéma : Belfast, de Kenneth Branagh - Avec Jude Hill, Caitriona Balfe, Jamie Dornan, Judi Dench, Ciarán Hinds



Belfast 1969. Buddy neuf ans, vit dans une famille protestante dans les quartiers Nord de la ville à majorité catholique. Il grandit entouré de sa mère, son frère aîné, ses grands-parents dans une paisible rue ouvrière, un lotissement modeste bordé de pavillons tous semblables.  Son père, menuisier, travaille à Londres la semaine pour rembourser des dettes. Il est souvent absent. La mère gère le quotidien avec énergie mais bientôt leur existence est bouleversée. Les tensions entre Catholiques partisans de la réunification de l’Irlande et les Protestants défenseurs de l’appartenance au Royaume-Uni s’exacerbent. Des émeutes éclatent, les Catholiques sont pourchassés, les maisons saccagées, les commerces pillés. La violence explose, les attentats dévastent le quartier. Buddy pose un regard candide sur la folie des adultes. Une incompréhension qui le préserve. A l’école, il est amoureux de la petite blonde du premier rang qui est catholique. Il fait des bêtises de gamins, vole des loukoums chez l’épicier indien et se réfugie dans les salles de cinéma où il rêve sur grand écran. Sa grand-mère l’initie à Shakespeare. Les Orangistes protestants tentent bientôt de recruter le père. Pacifiste convaincu, il leur oppose un refus ferme et définitif mais sent désormais la nécessité de partir. Le monde s’écroule pour Buddy.






Metteur en scène de théâtre, cinéaste hétéroclite de Shakespeare à Agatha Christie, de Disney jusqu’aux blockbusters Marvel, Kenneth Branagh associe l’intime et l’universel dans une œuvre autobiographique touchante tournée dans un noir et blanc nostalgique. Il témoigne de la réalité de la fracture religieuse et nationaliste en Irlande, la guerre civile vécue à travers les yeux d’un enfant. Kenneth Branagh décrypte une identité établie sur le trauma fondateur du déracinement et des violences, la ville dévastée, les attentats, l’absence des hommes. Pourtant il ne recontextualise pas, ne s’appesantit pas sur les explications historiques et politiques.

Le film possède une dimension cathartique. Il évoque puissamment l’arrachement au pays de l’enfance, dans une évocation de l’Irlande, monde perdu. Afin de comprendre ce que ses parents ont traversé, Kenneth Branagh se penche sur le décor familier du quotidien, resserre le cadre sur les lieux de l’enfance, la rue, un pub. Il convoque le souvenir idéalisé, la carte postale et le folklore : les chansons de Van Morrison, les bals populaires, les sermons du pasteur le dimanche, les matchs de foot entre gamins dans la rue. 

Projet introspectif, tourné à hauteur d’enfant, le point de vue de Buddy, « Belfast » éclaire sous un jour nouveau la filmographie de Kenneth Branagh et ses choix parfois étonnants comme la réalisation de « Thor ». Le réalisateur porte l’accent sur l’importance de la pop culture dans la construction des imaginaires. Buddy lit les comics Marvel. A la télé, il regarde Star Strek, les westerns High Noon, Liberty Valance, au ciné Chitty Chitty Bang Bang. Il assiste en famille devant le poste au premier pas de l’homme sur la lune. Ce retour aux sources donne l’occasion au cinéaste d’évoquer la naissance d’une vocation dans une véritable déclaration d’amour au cinéma.



Kenneth Branagh peuple son film de personnages gouailleurs, attachants. Buddy incarné par Jude Hill, gamin lumineux, traverse cette œuvre dans l’innocence de ses neuf ans. La figure magnifique du père, Jamie Dornan, devient romanesque dans les yeux du petit garçon. Elle contraste avec celle adorée mais bien ancrée dans la réalité de la mère courage, Caitriona Balfe confrontée à un quotidien d’angoisse. La grand-mère Judi Dench tendre, drôle et le grand-père débonnaire Ciarán Hinds sont irrésistibles.

Ce film sensible manque néanmoins d’un peu de fantaisie et de poésie. La forme et le propos paraissent assez convenus. A travers ses souvenir d’une enfance qui bascule dans le chaos de l’Histoire, Kenneth Branagh pousse la réflexion sur l’attachement aux lieux premiers et interroge la résilience des siens. 

Belfast, de Kenneth Branagh
Avec Jude Hill, Caitriona Balfe, Jamie Dornan, Judi Dench, Ciarán Hinds
Sortie le 2 mars 2022



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.