Cinéma : The Lost Leonardo, un documentaire d'Andreas Koefoed

 

En 2005, Robert Simon et Alexander Parish, marchands d’art et spéculateurs, font des affaires dans une modeste salle des ventes de la Nouvelle Orléans. Ils se portent acquéreurs, pour 1 175 dollars, de ce qui leur paraît être une copie d’un tableau de Léonard de Vinci perdu au cours du XVIIème siècle : le Salvator Mundi. Ils confient l’oeuvre à Dianne Modestini, restauratrice réputée, ancienne collaboratrice du Metropolitan Museum of Art, afin de lui redonner son éclat. Sous les diverses couches des maladroites réparations, de la crasse et des divers outrages du temps apparaissent des formes, des traits, une technique qui ne pourrait sortir que de l’atelier de Léonard de Vinci. Un possible repentir suggère même qu’il s’agit d’un tableau original et non d’une copie. 





Luke Syson, conservateur à la National Gallery de Londre de 2003 à 2012, invite un groupe de cinq experts à venir ausculter le Salvator Mundi. Certains sont convaincus, d’autres pensent que le tableau a été peint en partie par l’atelier en partie par le maître, d’autres n’y croient pas du tout. Malgré l’absence de consensus sur l’authenticité du tableau, Luke Syson prend le parti de faire apparaître le tableau comme une oeuvre retrouvée de Léonard de Vinci lors de l’exposition à succès de 2011, « Leonardo da Vinci : Painter at the Court of Milano » à la National Gallery. Une forme d’authentification. 

Associé à Simon et Parish, Warren Adleson se charge de la vente du tableau. Les plus grands musées du monde sont approchés mais dans le doute se désistent. Le Salvator Mundi est finalement vendu en 2013 pour 83 millions de dollars à Yves Bouvier, homme d’affaires suisse, richissime héritier d’une société de transport et courtier en œuvres d’art. L’oeuvre passe aux mains de l'oligarque russe Dmitry Rybolovlev lors d’une vente chez Sotheby’s pour la somme de 127,5 millions de dollars. S’estimant floué par l’intermédiaire qui lui a cédé le tableau, une commission de 44 millions de dollars, le collectionneur s’en sépare.

En 2017, la maison de vente Christie’s New York en charge de la nouvelle vente organise un véritable battage médiatique autour des enchères à venir. Le tableau alors qualifié de « double masculin de la Joconde » est acquis par un acheteur anonyme pour le prix record de 450 millions de dollars. Le nom de l’acquéreur est finalement révélé. Le tableau le plus cher du monde appartient désormais au prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane.



« The Lost Leonardo » retrace l’histoire invraisemblable d’une réapparition surprise et des controverses qu’elle aura suscité. Les œuvres de Léonard de Vinci qui nous sont parvenues sont tellement rares qu’elles en deviennent hautement désirables et pas toujours pour les bonnes raisons. Il ne reste au monde que huit tableaux été authentifiés sans équivoque et neuf autres validés par les experts mais dont les éléments certifiant la provenance demeurent incomplets du fait d’une rupture dans la chaîne d’information depuis la sortie de l’atelier du maître. 

Le réalisateur danois Andreas Koefoed retrace le parcours détaillé d’une oeuvre qui défraie la chronique. Durant trois ans, il a suivi la piste du Salvator Mundi pour tenter d’élucider le mystère. Le film emprunte les codes du thriller afin de mieux dénoncer la face cachée du monde de l’art où les les intérêts acquis plus importants que la vérité. Le sujet complexe s’incarne grâce aux nombreux entretiens menés avec les différents protagonistes de l’affaire ainsi qu’un panel d’historiens de l’art, de critiques, de journalistes. Andreas Koefoed donne la parole aux pro et aux contres dans une bataille d’experts qui à défaut de rendre un verdict définitif éclaire comment une oeuvre dont l’authenticité n’a jamais pu être établie est le tableau le plus cher du monde.  

Dans la compétition des milliardaires, le Salvador Mundi serait-il devenu un trophée pour super riches ou un simple artéfact propice aux spéculations ? Le montant des transactions a alerté le FBI, de telles sommes suggérant soit le blanchiment d’argent des cartels de la drogue, soit des tentatives d’évasion fiscale. Le documentaire soulève le voile sur le destin de nombreux tableaux et les manipulations liées aux ports francs. Dans les espaces de stockage des paradis fiscaux, d’innombrables œuvres d’art représentant des milliards de dollars sont entreposées comme des marchandises. Elles ne sont jamais soumises à l’impôt car considérées toujours en transit. 



Le Salvator Mundi continue à provoquer la circonspection des experts. Il n’a pas été représenté au public depuis 2017. Néanmoins, la polémique à propos de son authenticité fait de nouveau rage en 2019, à l’occasion la grande exposition du Louvre célébrant les cinq-cents ans de la disparition de Léonard de Vinci. Le tableau très attendu doit figurer parmi les œuvres exposées. Il est remplacé à la dernière minute par une copie. Néanmoins, un livret publié par le Louvre, distribué à quelques journalistes alors qu’il aurait dû rester confidentiel, poserait dans la balance l’expertise du musée en attestant de l’authenticité. 

Cet incident relance les soupçons de marchandage politique. Une faveur envers le prince MBS. L’Arabie Saoudite est l’un des plus importants clients dans les exportations d’armes françaises. Le gouvernement saoudien envisage de développer le tourisme de masse dans un pays regorgeant de sites archéologiques. Dans le nord-ouest de l’Arabie Saoudite, territoire riche de vestiges antiques, un centre culturel et artistique de 15 milliards de dollars est sur le point de voir le jour dans l’ancienne ville d'Al-Ula. Le Salvator Mundi pourrait devenir à la future institution muséale ce que la Joconde est au Louvre, une oeuvre au pouvoir d’attraction internationale. 

The Lost Leonardo, un documentaire de Andreas Koefoed
Sortie le 26 janvier 2022



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.