Lundi Librairie : Monsieur Loo, le roman d’un marchand d’art asiatique - Géraldine Lenain

 

A la fin du XIXème siècle, Li Gin Zhai, voit le jour au sein d’une famille de paysans pauvres dans un modeste village du Zhejiang, province au Sud de Shanghai. Le père opiomane pousse la mère au désespoir. Elle se suicide. Le jeune garçon, orphelin très tôt, est embauché au service d’une riche maison de la région. Il est attaché plus particulièrement à celui de l’héritier du clan, Zhang Jinpiang, fin lettré et soutien des premiers nationalistes chinois, notamment le futur Kuomintang. Lorsque celui-ci est nommé en 1902, à l’ambassade de Chine à Paris, Lu remarqué pour sa vivacité d’esprit, l’accompagne en Europe. Le diplomate crée une boutique d’art chinois place de la Madeleine afin de financer ses diverses activités politiques. Les chinoiseries, bibelots grossiers popularisés par les frères Goncourt, sont à la mode. Nommé directeur de la galerie par son protecteur, Lu change de nom, devient Lu Huan Wen, coupe sa natte traditionnelle, abandonne la robe de soie pour le costume trois pièces. Il épouse Marie-Rose, la fille de sa maîtresse, et vit dans un curieux ménage à trois. Sur le plan professionnel, il s’illustre par son sens des affaires, son entregent et fonde bientôt sa propre galerie. Il prend un nouveau nom, Loo Ching Tsai. Il s’attache à former le goût des collectionneurs, les initie au « véritable art chinois », la grande statuaire, les jades archaïques, les fresques bouddhiques. Il trouve sa place dans les échanges entre Orient et Occident. Grâce à son réseau local du Zheijang, TC Loo développe son négoce. Ses émissaires sillonnent la Chine en quête d’artefacts. 

Après Paris, il ouvre des succursales à Londres puis à New York en 1915 sur la Cinquième Avenue étendant son empire sur trois continents. Il amasse une fortune colossale grâce à ses clients collectionneurs Rockefeller, Morgan, Vanderbilt. En 1926, TC Loo fait construire la pagode de la rue de Courcelles, galerie, lieu d’exposition de la collection personnelle, résidence de la famille Loo, son épouse et ses quatre filles alors que lui-même vit aux Etats-Unis. 

Historienne de l’art, spécialiste de l’art asiatique, experte auprès de Christie’s et Sotheby’s, présidente de la Société des amis du musée Guimet, Géraldine Lenain a été le premier expert occidental recruté par une maison de ventes chinoise Guardian. Ses parents coopérants, elle naît à Madagascar, passe une partie de son enfance au Gabon puis à Hong-Kong où elle apprend le mandarin à l’école internationale française. Elle ne découvre réellement la vie en France qu’à partir de ses seize ans. Elle poursuit des études, école de commerce et études d’histoire de l’art à la Sorbonne. Son expertise la mène à travailler auprès de prestigieuses maisons de ventes. 

Le destin de Loo Ching Tsai / C.T. Loo (1880-1957), le plus célèbre marchand d’art asiatique du XXème siècle, la fascine depuis toujours. En 12007, la famille lui donne accès aux archives privées conservées à la Maison Loo, parmi lesquelles des milliers de pages de correspondance redécouvertes tardivement. Grâce à ces nouveaux documents, durant six années, Géraldine Lenain redessine le destin d’un homme mystérieux qui n’a eu de cesse de réécrire sa propre histoire, de réinventer son identité, de brouiller les pistes en mentant par exemple sur ses origines. A travers cette biographie traversée d’un puissant souffle romanesque, elle dresse le portrait d’un personnage complexe sans passer sous silence les zones d’ombre. Cette fresque incarnée du négoce de l’art dans la première moitié du XXème siècle permet de mieux appréhender comment les plus belles collections actuelles ont été rassemblées, entre trafics, spoliations et arrangements avec la déontologie. Géraldine Lenain soulève en creux la question de la restitution des œuvres d’art acquises frauduleusement, tout en donnant des pistes de réflexion sur l’idée de la préservation du patrimoine et de la mémoire.

Durant un demi-siècle, C.T. Loo a marqué de son influence le goût des collectionneurs occidentaux. L’autrice retrace le parcours singulier d’un homme secret, déterminé, aux capacités hors du commun et à l’ambition dévorante. Sa personnalité complexe, sa double vie, ses relations cloisonnées, son inclinaison pour le secret, ses paradoxes. C.T. Loo, ambassadeur d’une civilisation, a cherché à valoriser la culture chinoise par le biais de son commerce tout en assumant de piller des trésors nationaux pour son profit. Son prolifique négoce a enrichi les collections privées et publiques les plus prestigieuses. Affairiste sans scrupule, le marchand a été célébré puis honni dans son pays. A partir de 1949, à la suite de l’arrivée au pouvoir des communistes, il est considéré comme un traître à la patrie pour avoir, entre autres, exporté et vendu deux stèles à décor de chevaux du mausolée de Taizong, deuxième empereur de la dynastie Tang. Philanthrope, il a fait don d’oeuvres inestimables aux musées et institutions avec lesquelles il entretenait commerce, notamment un ensemble remarquable de soixante-sept jades archaïques au musée Guimet. Pourtant en 1952, sa demande de naturalisation en France est rejetée. 

Réflexion sur le commerce des œuvres d’art et plus particulièrement des antiquités, « Monsieur Loo, le roman d’un marchand d’art asiatique » se lit à la fois comme une biographie rigoureuse richement documentée et un roman palpitant.

Monsieur Loo, le roman d’un marchand d’art asiatique - Géraldine Lenain - Editions Picquier 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.