Théâtre : Maman, de Samuel Benchetrit - Avec Vanessa Paradis, Eric Elmosnino, Félix Moati, Gabor Rassov - Théâtre Edouard VII

 

Jeanne tient un magasin de vêtements destinés aux femmes enceintes. Mariée depuis vingt-cinq ans avec Bernard, elle n’a pourtant pas d'enfant. A la veille de Noël, elle vient de fermer boutique. La nuit est tombée. Elle attend un taxi pour rentrer chez elle. Emmitouflée dans un manteau de fourrure, elle patiente sur le trottoir. Un jeune marginal passe, la remarque. Il fait demi-tour, l’aborde, lui demande timidement : « C’est combien ? ». Amusée par la méprise, troublée par le désir de ce garçon qui aurait l’âge de l’enfant qu’elle a perdu il y a bien longtemps, elle engage la conversation. De retour à la maison annonce à son mari, Bernard qu’elle souhaite adopter cet orphelin. Besoin d’amour, celui d’en recevoir mais surtout d’en donner, un vide à combler.
 
Vanessa Paradis fait ses débuts au théâtre dans un rôle sur-mesure écrit par celui qui partage sa vie à la ville, Samuel Benchetrit. Dramaturge, romancier, scénariste, réalisateur, il met en scène au Théâtre Edouard VII, un univers singulier, caractéristique de ses créations, entre fantaisie rosse, cynisme joyeux, humour incisif. Il distille un piquant désenchantement dans le flot d’une histoire douce-amère, développée sur le fil entre comédie et tragédie, passant d’un registre à l’autre sans jamais se fixer. Sous la surface d’une cocasserie sensible, les drames personnels hantent des protagonistes caractérisés par une certaine gouaille propre à l’écriture de Samuel Benchetrit. Les incongruités, les subtils décalages confèrent au récit une atmosphère d’inattendu, de bizarre onirique. 

Le point de départ de cette pièce ambitieuse, une femme abordée par un homme qui aurait l’âge d’être son fils, emprunte à la comédie de mœurs ou au boulevard pour se nuancer au fil des échanges, dialogues piquants. L’amour, la mort, la filiation, le désir de maternité, l’usure du couple, « Maman » suit le mouvement de la vie à travers ces destins cabossés. Avec tendresse et poésie, il déploie une galerie de personnages attachants, losers magnifiques comme absents à eux-mêmes. La profonde empathie du dramaturge pour ces marginaux éclaire le charme singulier de ces marginaux, inadaptés qui refusent de se conformer à la norme. Les protagonistes énigmatiques incarnent des enjeux subtils. Samuel Benchetrit cultive une forme de gravité au cœur de la comédie. 




Vanessa Paradis, se met en danger dans une expérience inédite. Sur scène pour la première fois, elle prête ses traits à une femme en mal d’enfant, déterminée à remettre en question toute son existence pour une rencontre fortuite. Le personnage, tout empli de son désir de maternité, trouve à l’accomplir ailleurs. La comédienne interprète avec nuance les paradoxes de Jeanne, fragile et féroce dans son entêtement, dont la force intérieure semble souligner les fêlures profondes. Il y a quelque chose de brisé en elle. Le couple qu’elle incarne auprès d’Eric Elmosnino dans le rôle de Bernard parait pourtant heureux. Pourtant le mari aimant est dépassé par le spleen de son épouse, ses regrets, sa quête d’absolu. Bernard, le dévoué, regrette le manque de passion, diluée dans le quotidien, de tendresse de leurs relations. Les non-dits, le désarroi, l’incommunicabilité fruit d’un passé douloureux commun, ont éteint la flamme. Eric Moati joue avec conviction et énergie le rôle du fils de substitution, jeune instable dont l’audace provoque un bouleversement. Les apparitions impromptues de Gabor Rassov, dans un personnage en mal d’amour cocasse, ponctuent la tragédie qui se noue.

Samuel Benchetrit teinte sa pièce de couleurs très personnelles. Moins pessimiste peut-être qu’à son habitude, il poursuit sa quête de réponse à ses grands questionnements existentiels. Sens des situations, instinct du burlesque et goût du désenchantement, en quelques mots prononcés, sur le fil entre rires et larmes, le dramaturge évoque avec nuance les angles aigus, les blessures des existences. Il souligne la cruauté de la condition humaine, l’absurdité de nos vies. Justesse des émotions et incarnation remarquable.

Maman 
Ecrit et mis en scène par Samuel Benchetrit
Avec Vanessa Paradis, Eric Elmosnino, Félix Moati, Gabor Rassov
Du mardi au samedi à 21h - Samedi à 16h30 - Dimanche à 16h

Théâtre Edouard VII
10 place Édouard VII - Paris 9
Tél Location : 01 47 42 59 92



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.