Théâtre : J'habite ici, écrit et mis en scène par Jean-Michel Ribes - Théâtre du Rond-Point - Jusqu'au 17 octobre 2021

 

Les habitants d’un immeuble se croisent dans la cage d’escalier. Ici cohabitent leurs lubies, leurs idées fixes, leurs obsessions intimes, sous l’œil de Madame Janine, concierge excentrique, parfois même ange gardienne. Le fils de la famille Feuillades, un étudiant contestataire s’est épris d’un CRS lors d’une manifestation au cours de laquelle il a pris quelques coups de matraque. Chez les Carminel, Léon, le père, obnubilé par Saint Louis et les croisades, ne digère pas que sa fille fréquente un garçon prénommé Karim. Le couple Martineau vit des moments mouvementés. Le mari, André, fonctionnaire du ministère de l’intérieur, soumis aux fantasmes sexuels de ses supérieurs, assouvit leurs désirs avec enthousiasme. Des bobo, véganes militants adeptes du yoga et de la méditation sont obligés de réanimer leur fille avec un saucisson. Un anti-écologie enragé dézingue les oiseaux dont le chant l’importune. Dans l’escalier se croisent, une infirmière post-covid, un SDF surdoué, une critique de théâtre qui se shoote aux alexandrins, un plombier raciste…






Auteur et metteur en scène de la pièce, Jean-Michel Ribes, directeur du théâtre du Rond-Point depuis 2001, construit une oeuvre en douze appartements, reflet aussi vibrant qu’incarné de notre monde au lendemain d’une crise majeure. Trublion canaille, à l’occasion potache, il pousse jusqu’à la caricature, joue des stéréotypes avec panache. Dans une partition haute en couleur et portée par une interprétation remarquable, cette pièce chorale présente les facette d’une humanité plurielle, société désarçonnée dans ses certitudes. Les personnalités s’affrontent sur l’air dévastateur d’une ironie mordante, d’une irrévérence salutaire. Insolence hilare et verve caustique. Sur fond d’études de mœurs, les instantanés de vie déclenchent le rire et la réflexion. La pièce capture le mouvement des existences, fluctuations volontiers surréalistes dépassent la simple psychologie pour le plaisir d’un bon mot, d’une embardée délicieuse vers l’absurde.

Succession de saynètes, les pièces d’un plus vaste puzzle s’emboîtement, narration fragmentée au gré des destinées individuelles. La construction narrative en accumulation déploie un panel savoureux de péripéties romanesques. La structure composite du récit, éclectisme réjouissant, convoque les imaginaires et embrasser la vitalité autant que la trivialité des existences. Jean-Michel Ribes renvoie dos à dos, véganes et viandards, féministes et misogynes, bourgeois coincés et bobo. Il ne ménage personne et passe au crible les lâchetés, le désenchantement, la mesquinerie. Regard lucide porté sur notre société, cet iconoclaste de talent tacle la bonne conscience, dézingue les convenances, épingle les ridicules dans un texte au vitriol, grinçant portrait de groupe, miroir tendu. Le propos politique prend à rebrousse-poil les bien-pensances actuelles, les donneurs de leçon urticants, les vertus de façade. Ode à la tolérance, « J’habite ici » embrasse les grandes thématiques de notre temps, montée des extrémismes, le racisme, l’homophobie, l’immigration, l’écologie, le féminisme. La pièce alterne avec des moments de pure poésie associant mélancolie et fantaisie.



Au rythme d’une mise en scène dynamique, le foisonnement des récits intimes trouve un écho dans la prolifération des personnages, une cinquantaine incarnés ici par dix comédiens formidables, parfois simples silhouettes, ou figures creusées. Cet inventaire du réel, tentative d’épuisement de la réalité d’un lieu dans sa dimension humaine, prend place dans des décors signés Emmanuelle Favre, souvent remarquée pour son travail destiné à des opéras. Elle a imaginé un immeuble évolutif dont la géométrie variable souligne la folie douce et la démesure qui règnent sur le plateau.

« J’habite ici » croque une humanité moderne pas toujours reluisante en prise aux travers d’une contemporanéité familière.  Les maux de la société, les désillusions, les idéaux trahis. Par l’humour, la pièce touche à une forme de vérité, sociologie fantaisiste, véritable remède à la morosité.

J’habite ici 
Jusqu’au 17 octobre 2021

Ecrit et mis en scène par Jean-Michel Ribes
Avec : Olivier Broche, Manon Chircen, Romain Cottard, Charly Fournier, Annie Grégorio, Jean Joudé, Alice De Lencquesaing, Philippe Magnan, Marie-Christine Orry, Stéphane Soo Mongo
Assistant : Olivier Brillet
Scénographie : Emmanuelle Favre
Costumes : Juliette Chanaud
Lumière : Hervé Coudert
Son : Guillaume Duguet
Maquillage et coiffures : Catherine Saint-Sever

Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin D. Roosevelt - Paris 8
Tél : 01 44 95 98 00



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.