Cinéma : Milla, de Shannon Murphy - Avec Eliza Scanlen, Toby Wallace

 

Milla, adolescente fragile, s’étiole entre un lycée privé guindé et le cocon familial ouaté. Derrière l’image de la famille parfaite, la réalité de la maladie la rattrape au quotidien. Milla est surprotégée par des parents aussi dévoués que névrosés. Anna sa mère, ancienne pianiste, entretient une dépression larvée et abuse des psychotropes tandis que son père Henry, psychiatre, très inquiet pour sa fille, tente de donner le change. Milla croise sur un quai de gare le bouillonnant Moses, un jeune marginal dealer à ses heures. Elle s’éprend de ce mauvais garçon au cœur tendre et l’invite chez elle, une façon pour l’adolescente de prendre la tangente, de faire entrer la vie dans leur existence renfermée, claquemurée. Cette cohabitation délicate bouleverse l’équilibre de la famille. Anna et Henry désapprouvent la relation de leur fille avec Moses mais acceptent pourtant l’intrusion de cet énergumène imprévisible afin de la rendre heureuse. Ils souhaitent qu’elle puisse vivre son adolescence pour le temps qu’il lui reste. 








Ce portrait lumineux d’une adolescente malade est le premier long métrage de la réalisatrice Shannon Murphy, habituée des productions destinées à la télévision. Le film émouvant mêle les registres avec pertinence, navigant entre humour et gravité, ombre et lumière. Rita Kalnejais signe pour son amie l’adaptation de la pièce de théâtre, « Babyteeth » (dents de lait) dont elle est l’autrice. Le scénario sans trahir l’émotion de l’oeuvre originelle parvient à renouveler le propos. Elle ne ménage pas ses personnages, bousculés par la vie. La virulence de la tragédie latente révèle le chaos intérieur, les frustrations et les addictions. La confiance est fragile et l’espoir si fort. Récit initiatique poignant, la cinéaste s’interdit pathos et mièvrerie malgré certaines scènes difficiles. 

Au fil de cette éducation sentimentale aussi courte qu’intense, Shannon Murphy capte l’essentiel à l’écran, l’élan vital, les beaux moments de plénitudes, les premières fois radieuses. Elle parvient à saisir aussi bien la grâce et l’énergie que l’inquiétude sourde mortifère, les non-dits, les rancoeurs, les émotions enfouies. Loin des stéréotypes larmoyants de la chronique adolescente marquée par la maladie, elle évite l’écueil des clichés lacrymaux pour embrasser une sincérité salvatrice. Le montage se détache de l’idée d’un récit chronologique linéaire pour souligner la construction narrative ambitieuse tout en digressions, ellipses, ruptures. 



La belle complicité entre les deux jeunes acteurs, complémentaires, confère à cette oeuvre vibrante, incarnée, sensuelle une énergie singulière. Eliza Scanlen, solaire, changeante, prête ses traits à Milla, adolescente qui malgré la maladie, fait montre d’une force vitale paradoxale. Elle tente d’échapper au cadre familial étouffant grâce au personnage incarné avec conviction par Toby Wallace. Moses, excessif, démonstratif, tenté par la pharmacie familiale reflet de la surmédication parentale, provoque le malaise chez les adultes trop englués dans leurs préjugés. Emily Barclay et Ben Mendelsohn sont des parents au bord de l’effondrement psychologique très convaincants. Hymne à la vie, à l’amour, « Milla » redonne envie de croquer l’existence à pleines dents.

Milla, de Shannon Murphy
Avec Eliza Scanlen, Toby Wallace, Emily Barclay, Essie Davis, Ben Mendelsohn
Sortie le 28 juillet 2021



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.