L’idéologie dominante soutient l’illusion d’une société contemporaine fondée sur la méritocratie. La grande mascarade du « Quand on veut, on peut » voudrait nous faire croire que tout le monde part dans la vie avec les mêmes chances. Une façon de conforter ceux qui inconscients de leurs privilèges de naissance, pur hasard, estiment mériter leur réussite mais également de culpabiliser ceux qui ne possèdent rien, de stigmatiser les personnes qui vivent dans la misère. Agrégé de philosophie, enseignant dans un lycée de la région parisienne, Gilles Vervisch propose de remettre en question une vision du monde formatée par « l’éthique du capitalisme », selon laquelle la vie ne serait qu’une grande compétition où il y aurait des gagnants et des perdants. Il s’attache à déconstruire les préjugés selon lesquels le mérite personnel est la source unique de la réussite, reposant sur l’effort, le talent, l’ambition. Il fait oeuvre de passeur, de vulgarisateur. La philosophie rendue ludique et accessible se pratique en prise directe avec la réalité du quotidien. Les références à la culture populaire Star Wars, Cendrillon, Game of Thrones, Frank Capra abondent, sans pour autant détacher le propos des grands penseurs classiques John Stuart Mill, Karl Marx, Emmanuel Kant, Max Weber, Pierre Bourdieu, Machiavel. Gilles Vervisch nous invite à prendre du recul pour mieux penser notre monde actuel.
Pédagogue inspiré, Gilles Vervisch nous ouvre les portes d’une réflexion nécessaire, à rebours de tous les livres de développement personnel qui affirment détenir la clé de la réussite. Il questionne les notions de réussite et de mérite par le contre-exemple des ratés magnifiques Vincent Van Gogh, Vermeer, Edgar Allan Poe. Van Gogh n’a vendu qu’une seule toile de son vivant, n’a jamais connu la reconnaissance et s’est suicide persuadé d’être un peintre raté. Ce que la postérité a contredit en le portant aux nues. A contrario, Giacomo Meyerbeer (1791-1864), compositeur adulé en son temps sur la scène internationale - une rue près de l’Opéra Garnier porte son nom, il a reçu des obsèques nationales - en synergie totale avec les académismes de son époque, a sombré dans l’oubli.
Emmanuel Macron fait l’éloge des premiers de cordées, et désapprouve ceux qui ne sont rien. Léa Séydoux héritière des familles fondatrices de Pathé et Gaumont, prétend avoir fait l’école de la vie. Elle est persuadée qu’elle ne doit sa réussite sa carrière qu’à elle-même. Laurent Wauquiez, qui doit sa carrière à des concours de circonstances, voudrait imposer des travaux d’intérêt général aux chômeurs pour qu’ils touchent les allocations. Réussir dans la vie serait devenir l’égal de ceux que la naissance a favorisés tout en prétendant ne rien devoir à personne. Ce qui implique insidieusement que réussir sa vie serait le fait d’accéder au sommet de la pyramide sociale. La valeur du travail n’est pas corrélée à son utilité sociale. Les métiers les plus fatigants physiquement sont aussi les plus mal payés. L’héritage financier mais également culturel, les réseaux sont les véritables sources de la réussite financière. Dans ses écrits, Albert Einstein notait : « Si vous demandez à un poisson de savoir grimper aux arbres, il pensera toute sa vie qu’il est un imbécile. »
Peut-on réussir sans effort ni aucun talent ? Les mirages du mérite - Gilles Vervisch - Editions Le Passeur
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