Cinéma : Drunk, de Thomas Vinterberg - Avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe, Magnus Millang


Martin, professeur de lycée quinquagénaire, a depuis longtemps perdu le goût de l’enseignement. Trop sobre, trop sage, ennuyeux même, il est régulièrement chahuté par ses élèves. Dépressif, sa vie privée ne brille pas non plus. Il se sent englué dans la monotonie d’un quotidien fade, incompris par sa propre famille, de moins en moins proche de sa femme. Avec trois de ses collègues, ses plus proches amis en aussi piteux état que lui, il décide de tenter une expérience. Les quatre compères s’inspirent d’une théorie formulée par un psychologue norvégien, Finn Skarderud, selon laquelle l’être humain vient au monde avec un déficit d’alcool dans le sang. Ils imaginent remédier à cette carence afin de retrouver le goût de vivre. A partir de ce postulat loufoque ils mènent très scrupuleusement l’expérience. Avec une rigueur toute scientifique, ils tentent de trouver la bonne formule. En cachette, ils boivent avant de se rendre au lycée, entre les cours, et après le travail mais une fois rentrés chez eux, ne touchent plus une goutte jusqu’au lendemain. Désinhibés, entreprenants, créatifs, à nouveau plein d’allant, de motivation, ils font preuve d’une inventivité inédite. Ils retrouvent l’envie de dialoguer, d’échanger. Si les débuts semblent concluants, lorsque le taux d’alcoolémie tend à augmenter les dérives et les mises en danger se font plus flagrantes. Hors de contrôle, ils basculent dans la franche saoulographie. 







Thomas Vinterberg, le réalisateur en 1998 de « Festen », prix du jury du Festival de Cannes, signe un film transgressif, une farce mélancolique, cocasse et bouleversante. Cette tragicomédie existentielle a été distinguée par l’Oscar et le César du meilleur film étranger. Sorti à l’origine en octobre dernier, le long-métrage revient à l’affiche depuis le 19 mai. Le cinéaste mène une étude de mœurs par le biais d’une expérience collective loufoque dont il parvient à faire surgir des thèmes universels. Quatre professeurs, minés par l’échec de leur mission pédagogique, leur couple dysfonctionnel, une vie de famille monotone et les désillusions explorent des théories fumeuses qui bouleversent leur existence. En lutte contre les normes, les personnages révèlent au grand jour leurs propres contradictions, et plus largement les névroses de la société.

Le mal-être, la lassitude, les vulnérabilités de ces hommes vieillissants s’évaporent en buvant de l’alcool. Ils se sentent à nouveau vivants mais jouent avec le feu. La juste ébriété pour rendre l’existence tolérable n’existe pas. L’équilibre est une illusion. Si les personnages parviennent à s’oublier, à embrasser le moment présent sans arrière-pensée, à faire fi des entraves sociétales, ils sont rapidement rattrapés par la réalité de leur pratique. Les acteurs incarnent avec brio ces fragilités mâtinées d’ivresse, les états d’âme et la titubation des corps. Mads Mikkelsen est magistral.



Thomas Vinterberg embrasse le potentiel explosif de la mise en pratique d’une idée aussi décalée. Le réalisateur ne fait jamais l’impasse sur les aspects destructeurs de l’alcool dont la prise ouvre des failles terribles, dévastatrices. Histoire d’une débâcle annoncée, naufrage éthylique, le réalisateur cosigne un scénario intelligent. La mise en scène nerveuse oscille entre fougue et sensibilité. Le rire et l’émotion s’entrecroisent dans une frénésie sardonique. Plongé dans la psychologie des protagonistes, le film ne se pose pas la question de la moralité. 

Oeuvre dérangeante et euphorisante, « Drunk » se veut selon le propose de son réalisateur une affirmation de la vie. Empathique, humain, joyeusement désespéré.

Drunk, de Thomas Vinterberg
Avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe, Magnus Millang
Sortie le 14 octobre 2020 / le 19 mai 2021



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.