Expo : Divas, d'Oum Kalthoum à Dalida - Institut du Monde Arabe - Jusqu'au 26 septembre 2021


 

A l’Institut du Monde Arabe, l’exposition « Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida », célèbre le parcours foisonnant de femmes iconiques. Chanteuses, danseuses, actrices, productrices de cinéma, elles ont formé l’avant-garde d’une révolution culturelle majeure entre les années 1920 et les années 1970, au Maghreb et au Moyen-Orient. Leurs vies dédiées aux arts et aux engagements ont fait d’elles de véritables légendes. Dès les débuts de la décolonisation et des luttes d’indépendance, elles ont assumé un rôle central dans l’expression d’une identité renaissante par le biais d’un renouveau artistique. Féministes émancipées, elles ont embrassé les enjeux politiques et sociétaux de leur temps. Ces divas, reconnues dans leur pays d’origine, mais également bien au-delà, ont suscité un véritable engouement populaire comme en témoignent leurs carrières exceptionnelles. De nos jours, leur héritage perdure, vibrant à travers les artistes contemporains qu’elles inspirent. 











Des pionnières, premières divas au Caire dans les années 1920, aux voix d’or de la chanson dès les années 1940, jusqu’aux actrices de Nilwood, le cinéma égyptien, ces figures féminines incarnent un idéal. Le glamour, les mélopées entêtantes des reines du cabaret, les danses envoûtantes, le jeu des comédiennes tour à tour drôles ou bouleversantes, les divas ont en commun un désir de liberté, d’émancipation.  Elles se trouvent à l’avant-garde des combats féministes et s’inscrivent dans une histoire sociale, questionnant sans cesse la condition de la femme. Egyptiennes, libanaises, algériennes, elles choisissent de mettre leur talent au service d’une cause politique. A l’heure des décolonisations, elles s’engagent auprès des mouvements d’indépendance. Le parcours chronologique de l’exposition « Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida » déploie un vaste dispositif ponctué à profusion de photographies, documents d’archives, vidéos, extraits de concert, interviews rares, costumes de scène et accessoires personnels. 

Dans les années 1920, Le Caire devient l’épicentre de la renaissance intellectuelle et de l’essor du cinéma. Un mouvement féministe puissant s’exprime alors. Les pionnières ouvrent la voie dans des pans entiers des arts vivants dominés par les hommes. Chanteuses, musiciennes, actrices, danseuses prennent le devant de la scène grâce au phénomène des cafés chantants et des cabarets puis le développement de l’industrie du disque et enfin le cinéma. Elles sont femmes d’affaires, productrices, réalisatrices, journalistes, militantes. Premières femmes à se dévoiler publiquement, Hoda Chaaraoui (1879-1947) et Ceza Nabaraoui (1897-1985) fondent l’Union féministe égyptienne pour la défense du droit des femmes en 1923. Ceza Nabaraoui rédactrice en chef de la revue féministe « L’Egyptienne » Al-Misriyah, dont le sous-titre « Sociologie, féminisme, art » marque les esprits s’engagent dans l’émancipation de la femme. Les salons littéraires se développent et offrent la parole à celles que les hommes ne voulaient pas écouter, développant une réflexion sur la modernité et la condition féminine.

La chanson puis les écrans du Maghreb et du Moyen-Orient permettent aux femmes de s’exprimer. Mounira al-Mahdiyya (1885-1965), chanteuse, est la première actrice musulmane à apparaître sur scène. Elle travers l’âge d’or du café chantant et de l’opérette en icône. Badia Massabni (1892-1974), danseuse orientale (sharqî), crée de nouveaux lieux de spectacles et de concerts parmi lesquels le cabaret Casino Badia au Caire. Assia Dagher (1908-1986) et Aziza Amir (1901-1952), se font remarquées comme figures engagées de l’industrie cinématographique.











Ces femmes ont ouvert la voie aux quatre grandes divas suivantes. D’origines, d’extraction très diverses, Oum Kalthoum, Warda al-Dajzaïria, Asmahan, Fayrouz incarnent néanmoins une idée de culture commune. L’exposition à l’Institut du Monde Arabe embrasse vie intime et vie publique à travers costumes de scène, effets personnels, pochettes de disque, photographies et documents d’archives. Des espaces dédiées évoquent des carrières immenses, des sacrifices aussi grands et des destins souvent liés à l’exil. Oum Kalthoum (1900-1975), l’Astre de l’Orient, fille d’un modeste imam, grandit dans la campagne égyptienne. Toute jeune, elle chante déguisée en garçon afin de pouvoir se produire sur les scènes dont les femmes sont exclues. Par la suite, elle adopte le temps long du raga indien, fascinant son public au point de le plonger dans des transes. Un temps, protégée du roi Farouk, elle rencontre Nasser en 1952 et épouse la cause du panarabisme à ses côtés. Elle devient le fer de lance du soft power égyptien.

Warda al-Djazaïria (1939-2012) née en France. Ses parents, père algérien, mère libanaise, sont propriétaires d’un cabaret à Paris où enfant elle fait ses premiers pas. Mais la famille est expulsée de France, accusée de livrer des armes au FLN. Ils se réfugient au Liban. Les débuts prometteurs de Warda prennent fin brutalement en 1963, lorsqu’elle épouse Djamel Kesri, héros de l’Indépendance. Il l’a contraint au silence. Mais en 1972, elle retrouve la scène à l’initiative du président Boumediene lors des célébrations de l’anniversaire de l’indépendance algérienne. Le divorce ne tarde pas. Avec plus de trois-cent chansons à son répertoire, Warda renoue avec la gloire et vend des dizaines de millions d’albums.

Princesse des montagnes syriennes, comédienne, chanteuse, espionne, mère de famille, Asmahan (1912-1944) connaît un destin tragique. Cette stupéfiante beauté meurt tragiquement dans un mystérieux accident de voiture à l’âge de vingt-neuf ans. Fayrouz, turquoise en arabe, nait en 1934 au Liban. Elle développe un style très personnel empreint de jazz dont l’influence s’étend au-delà du Moyen-Orient, jusque dans le monde entier. Fayrouz cesse de chanter dans son pays lorsqu’il sombre dans la guerre civile. Aujourd’hui encore, elle est l'une des plus célèbres chanteuses dans le monde arabe. Avec Oum Kalthoum, elle demeure l’une des plus importantes vendeuses de disques. 











L’exposition à l’IMA consacre tout un pan à l’essor de l’industrie cinématographique au Caire, dit Nilwood ou Hollywood sur le Nil. L’Egypte, quatrième producteur mondial de films, connaît un âge d’or dans les années 1940. Au Caire entre cinquante et soixante films voient le jour par an, diffusés dans tous les pays du Magrehb et du Moyen-Orient. Hind Rostom, Tahiyya Carioca, Laila Mourad, Samia Gamal, Souad Hosni enchantent de leur présence les comédies musicales égyptiennes, les mélodrames. Le succès populaire est immense. 

La dernière diva, d’origine italienne, voit le jour au Caire en 1933. Il s’agit de Dalida. Elle débute au cinéma dans Cigara wa kass, Un verre et une cigarette, où elle joue la rivale de la danseuse Samia Gamal. Sa carrière s’achève avec le film de Youssef Chanine, « Sixième jour », quelques mois avant son suicide en 1987. Destin tragique et vibrant, évocation sensible de cette grande icône pop. 










Aujourd’hui, les artistes contemporains puisent leur inspiration dans l’héritage de ses divas. A travers le regard d’une nouvelle génération, ces femmes s’inscrivent profondément dans la contemporanéité, symboles intemporels. Ces créateurs réinventent le patrimoine musical et iconographique par le biais d’installations vidéo, holographiques, films, photomontages. Tout un patrimoine revit par cette forme de réappropriation célébrative.

Youssef Nabil et son court métrage « I saved My Belly Dancer » (2015) s’inquiète de la disparition de la danse du ventre. Le photographe Nabil Boutros et ses photomontages « Futur antérieur » (2017) détourne des extraits de films égyptiens des années 1960. Shirin Neshat et son film « Looking for Oulm Khaltoum » (2017), développe une réflexion sur les femmes artistes. Lamia Zadié présente une installation « Ô nuit, Ô mes yeux » extrait du roman graphique datant de 2015, retrace la vie des divas Oum Kalthoum et Asmahan dont elle relie les carrières aux évolutions politiques et sociétales. 

Dans l’installation de Shirin Abu Shakra, Salma diva oubliée se remémore sa gloire passée au son de la chanson d’amour « Sulayma ». Le duo libanais Randa Mirza, photographe et vidéaste, et Waël Kodeih musicien et compositeur, imaginent une une installation sous forme d’holographique dans laquelle dansent les grandes Tahiyya Carioca et Samia Gamal, sur une musique électronique entraînante, questionnant ainsi l’hyper-sexualisation du corps des femmes.

Divas d’Oum Kalthoum à Dalida
Jusqu’au 26 septembre 2021


Institut du Monde Arabe
1 rue des Fossés-Saint-Bernard - Paris 5
Tél : 01 40 51 38 38
Horaires : Du mardi au vendredi de 13h à 18h, le samedi et le dimanche de 10h à 19h - Fermé le lundi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.