Cinéma VOD : Amin, de Philippe Faucon - Disponible sur Arte.Tv jusqu'au 8 juin 2021


Amin travaille depuis neuf ans en France comme ouvrier dans le bâtiment. Aïcha, sa femme et ses trois enfants sont restés au pays, au Sénégal. Loin des siens, il est un soutien économique pour toute sa communauté. Il mène une vie de labeur et de sacrifice, acceptant les heures supplémentaires et les arrangements d’employeurs peu scrupuleux, pas très portés sur les acquis sociaux. Très seul, il ne fréquente que les hommes du foyer pour travailleurs immigrés de Saint-Denis où il habite. Une existence d’abnégation. Il revient pour un court séjour dans son village avec la collecte qui finance l’école. Aïcha ne voit son mari que deux fois par an. Elle souffre de son absence, accepte difficilement cette situation et lui en tient rigueur. Amin rentre rarement plus d’une poignée de jours. Elle rêverait de le rejoindre en France. La cohabitation avec sa belle-famille est difficile. La séparation lui devient insupportable au point de sombrer dans une forme de mélancolie. Aïcha se révolte, s’affirme mais admet que son homme doit repartir seul. De retour en région parisienne, Amin est embauché sur le chantier d’un particulier pour rénover la terrasse d’un pavillon. Il fait la connaissance de Gabrielle, infirmière. Mère divorcée, elle partage la garde de sa fille avec un ex-mari intrusif et querelleur. Amin le taiseux est touché par la bienveillance de cette inconnue. Gabrielle par la grande douceur et la retenue de cet homme. Deux solitudes se rencontrent. Le désir naît.






Philippe Faucon, césarisé pour « Fatima » en 2016, qui cette année reçut trois récompenses dont celle du meilleur film, rend à la lumière les figures de l’immigrations invisibilisées par le système. Avec empathie et humanité, le réalisateur explore la condition de ces travailleurs de l’ombre, souvent exploités, contraints d’accepter des missions non déclarées, prêts à se sacrifier pour que leurs enfants aient un avenir meilleur. Tableau social sensible et juste, art du portrait, il porte son regard à hauteur d’homme dans une approche réaliste qui révèle la simplicité de la vie et la complexité des êtres. Par ces instantanés de quotidien, ces situations frappantes, le cinéaste ouvre les pistes de la compréhension. 

Film de la solitude et du déracinement, « Amin » illustre par un destin individuel le poids qui pèse sur ces travailleurs immigrés. Cette diaspora est responsable de leurs communautés qui parviennent à vivre grâce à ses dons. Dons économique, don de soi. Partir à l’étranger apparaît comme une ultime solution, douloureuse, cruelle. Philippe Faucon questionne les idées préconçues et les idéologies, replace l’humain au cœur du débat. Il capte les méandres des trajectoires et inventent des personnages secondaires touchants. Oeuvre pudique, « Amin » embrasse une grande sobriété psychologique qui rejoint un minimalisme formel. La conception naturaliste du réalisateur, économie de moyens et d’effets, refus de l’artifice, se lit jusque dans la sobriété du jeu des acteurs. La modestie de la forme permet de mieux se recentrer sur l’humanité des personnages, leur désarroi, leur isolement. 



Ces hommes déracinés souffrent de l’éloignement et de la solitude. La séparation est douloureuse. Amin ne voit pas grandir ses enfants. Mais ses frères comptent sur lui pour financer leurs projets de commerce, le reste de sa famille pour construire une nouvelle maison, les responsables de la mosquée pour entamer des travaux, l’école pour survivre. Pourtant du fait de son éloignement, de son absence il n’appartient plus vraiment à la société sénégalaise. Désormais étranger en France et dans son pays, il accepte sa charge, son devoir, afin d’offrir un avenir à sa communauté.

Malgré les assignations sociales, le film raconte la rencontre improbable avec cette Française, si seule elle aussi. Le réalisateur saisit les ressorts intimes du rapprochement malgré leurs différences, la naissance du désir, la sensualité aussi, le réconfort qu’ils s’apportent et le renoncement final. Un film d’une justesse émouvante au propos éclairant, finement amené.

Amin, de Philippe Faucon
Avec Moustapha Mbengue, Emmanuelle Devos, Marème N’Diaye, Noureddine Benallouche
Sortie en salle le 3 octobre 2018



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.