Lundi Librairie : Baiser féroce - Roberto Saviano

 


A Naples, la paranza des gamins, menée par Nicolas Fiorillo dit Maharaja, fait désormais couler le sang de la vengeance. Ce jeune mafieux, fasciné par « Le Prince » de Machiavel et les documentaires sur les empereurs conquérants diffusés sur History Channel, poursuit son ascension en semant les victimes sur son passage. Extorsion, racket, intimidation, trafic de drogue, depuis la conquête des places de deal, le « baby-gang » a imposé progressivement sa loi dans la rue depuis son QG du quartier de Forcella. Désormais, ces adolescents cyniques dépourvus de remord, fruits de leur époque inspirent la crainte et le respect. Ils ont pour eux l’arrogance de la jeunesse, la cruauté de l’enfance qui a perdu trop tôt son innocence, l’inconscience et une certaine naïveté. Ils veulent s’affranchir des clans et des règles établies, détrôner les anciennes familles de la Camorra. Pour jouer dans la cour des grands, en implacable stratège, Maharaja ne renoncer à aucune atrocité, sacrifie les plus faibles. Prêt à toutes les exactions dans la course au pouvoir, il déploie de nouvelles qualités dans la gestion des affaires avec la mise en place de nouveaux réseaux avec l’Albanie. Malgré leur détermination sans faille, les gamins napolitaines, armes au poing détermination risquent bien de se brûler les ailes.

Trépidant second volet d’un diptyque débuté avec « Piranhas », « Baiser féroce » reprend le récit de l’irrésistible ascension de Nicolas Fiorillo. Au cœur de la tourmente criminelle, Roberto Saviano noue une tragédie shakespearienne sur fond de liens du sang, goût du pouvoir, démesure, trahisons, représailles, désillusions. Menacé de mort par la Camorra depuis 2006, à la suite de la publication de son livre enquête « Gomorra » sur les dessous de la mafia napolitaine, le journaliste vit sous protection policière, privé de liberté. Désormais condamné à la fiction, il écrit des romans imprégnés par la réalité sociale de son pays. Ce cycle des clans d’adolescents mafieux s’inspire de la trajectoire d’Emanuele Sibillo, « baby-boss » tué à l’âge de dix-neuf ans lors de la troisième faide de Forcella. 

Ce roman âpre, d’une noire amertume, associe la fresque sociétale, la parole vibrante et le rythme haletant du polar. Le tableau en clair-obscur de la société napolitaine gangrénée par la criminalité lorgne du côté de l’étude de mœurs à la fois sanglante, palpitante et dérangeante. Roberto Saviano décrit avec précision un univers dont il connaît tous les rouages, où règnent la violence, la corruption, l’horreur. La narration survoltée, indignée, révoltée, rend compte de la brutalité extrême de ce monde. L’auteur livre un portrait contrasté incarné par des personnages aussi attachants que terrifiants. Taillés dans la chair et le sang, Nicolas et les autres sèment la mort et la terreur dans des affrontements terribles. Ces adolescents à peine pubères fascinés par les motifs des films de mafia, une mythologie du crime organisé, forment une nouvelle génération qui ne vit que dans l’instant. Portés par une forme d’avidité, d’obsession pour l’argent et la surconsommation, ils ont renoncé à leur part d’humanité pour embrasser la barbarie qui leur était présentée comme une panacée. Leur seul destin sera la mort. 

Baiser féroce - Roberto Saviano - Traduction Vincent Raynaud - Editions Gallimard Collection du Monde Entier - Poche Folio



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.