Cinéma VOD : Phantom Thread, de Paul Thomas Anderson - Disponible sur Netflix


Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Reynolds Woodcock, couturier de renom, habille les cours d’Europe. Son style séduit les aristocrates, les femmes du monde auxquelles il impose une patte depuis des décennies. Célibataire endurci, homme à femmes, Reynolds multiplie les muses et amantes, incapable de s’investir dans une relation, tout habité de son art, rigide, obsessionnel. Dans l’ombre, Cyril sa sœur, gouvernante de la maison et gérante de l’entreprise, organise le monde pour permettre au grand homme de se concentrer uniquement sur la création.  Une routine rigoureuse qui ne laisse de place à aucune fantaisie régimente son quotidien. Ce qui ne le prive néanmoins pas de mondanités diverses. De retour d’une virée en voiture de sport, Reynolds s’arrête un jour dans une auberge de campagne pour prendre un petit-déjeuner. Il tombe sous le charme singulier d’Alma, la serveuse, sa maladresse charmante, son accent d’Europe de l’Est, sa carrure différente. Il l’invite à dîner. Elle accepte. La soirée se termine dans l’hôtel particulier du couturier, le temps d’un essayage de robe impromptu. Devenue son égérie et puis son amante, Alma doit faire face à sa maniaquerie de vieux garçon, au fantôme omniprésent de la mère de Reynolds et la perpétuelle menace de répudiation. 






 

Paul Thomas Anderson signe une œuvre mystérieuse, intense, teintée d’humour noir et d’une inquiétante perversité. Tandis qu’en sous-texte, il décrypte les rapports de classe, le cinéaste filme avec maestria les jeux de pouvoir entre un démiurge tyrannique et sa muse sortie de nulle part. « Phantom Thread » embrasse la complexité des relations amoureuses, la vie de couple et la dépendance. Les relations tumultueuses qui lient Reynolds et Alma, romance cruelle, donnent l’occasion au réalisateur d’analyser avec une grande justesse les rapports humains.

Portrait d’un créateur et de ses névroses, « Phantom Thread » interroge les relations troubles qui lient le couturier aux femmes. Seul homme parmi les femmes, ses collaboratrices, ses clientes, ses amantes, ses muses, sa sœur et sa mère disparue, Reynolds Woodcock doit faire face à leurs attentes. La mode, artisanat de luxe mais également travail manuel, n’est qu’un prétexte somptueux visuellement pour ausculter les rapports troubles aux clientes par exemple, entre séduction, domination, emprise et mise à distance. Le vêtement est à la fois révélateur de beauté et prison.

L’esthétique du long-métrage repose sur la fausse piste d’une reconstitution précise. L’époque révolue incarne sous l’œil de Paul Thomas Anderson la modernité de son cinéma dans un paradoxe savoureux. Esthétique des images, lumière magnifique, « Phantom thread », le fil fantôme, celui dont le couturier a connaissance mais qui ne se voit pas, est d’une beauté troublante. Le cinéaste ne recule pas devant un l’idée d’un certain lyrisme visuel dont les amples mouvements de caméra rappellent « Madame de » de Max Ophül. Il distille le trouble dans un suspense subtil décliné par petites touches comme autant de clins d’œil à Alfred Hitchcock, tisse des atmosphères étouffantes.



Face à Daniel Day-Lewis magnétique, Vicky Krieps, actrice luxembourgeoise, impose avec nuance sa présence. La belle dynamique du tandem glisse vers l’incarnation nuancée. Personnage aussi singulier qu’inflexible, couturier fictif qui professe une horreur du « chic », Reynolds Woodcock est inspiré notamment de Cristobal Balenciaga. Daniel Day-Lewis a annoncé en 2017 que ce serait son ultime rôle au cinéma. L’acteur donne à voir la psychologie du rôle dans le langage du corps, une gestuelle qui traduit la fébrilité comme une vaste palette d’émotions. Sa présence à l’écran est impressionnante. Vicky Krieps qui prête ses traits à Alma, l’imprévue, la redoutable, joue tour à tour la sincérité et le calcul, la naïveté et la perversité dans une transe oscillante fascinante. 

Les rôles s’équilibrent entre le despote et la victime, se renversent tandis que se révèlent les ambiguïtés, les fluctuations des sentiments, les faux-semblants, les achoppements. Film déroutant d’une délicieuse sophistication, duel féroce de deux cœurs troublés, 

Phantom Thread, de Paul Thomas Anderson
Avec Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps et Lesley Manville
Sortie en salle le 14 février 2018
Disponible sur Netflix



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.