Lundi Librairie : Piranhas - Roberto Saviano




A Naples, Nicolas Fiorillo dit Maharaja, charismatique adolescent de quinze ans, s’est imposé naturellement comme le chef d’une troupe de gamins des rues. Son père est prof de sport. Sa mère tient une petite teinturerie. Fasciné par le train de vie des camorristes, il ne veut pas de leur existence étriquée et se voit déjà en parrain. Son livre de chevet, « Le Prince » de Machiavel lui apprend à commander, à inspirer la peur et le respect. Il se sent né pour être chef et son ascendant naturel s’impose auprès des adolescents qui l’entourent. Ils répondent à des surnoms, Dentino, Tucano, Drago, Lollipop, Drone, Oiseau mou, Jveuxdire, Briato, et le plus jeune, à peine dix ans Biscottino. Ils ont grandi ensemble à Forcella, quartier emblématique de Naples, fief historique de la Camorra. A scooter, ils arpentent la ville, font régner la terreur, imposent leur loi. Bientôt armés, ils rêvent d’argent, de pouvoir, de reconnaissance. Alors que les anciens chefs en prison ou assignés à domicile voient leur autorité remise en question, ils ambitionnent de prendre le contrôle du quartier, de détrôner les clans dynastiques. La journée, ils se livrent aux extorsions, au racket, au trafic de drogues, s’appropriant les places de deal laissées vacantes. Et le soir, ils rentrent chez leurs parents.  

Auteur en 2006 du livre enquête « Gomorra », qui dénonce le Système des clans mafieux, Roberto Saviano, menacé de mort par la Camorra, vit sous protection policière. Désormais, il ne peut plus poursuivre son travail d’enquête journalistique. Le récit documentaire se limite aux faits, aux rapports judiciaires, aux dossiers de l’enquête. Saviano s’est tourné vers le roman afin de prolonger son oeuvre. Publié en 2016, « Piranhas » s’inspire de faits réels, l’accroissement inquiétant de la criminalité de gangs d’enfants de plus en plus jeunes, tout en embrassant pleinement la dimension fictionnelle. Avec ce premier opus percutant, trépidant, l’auteur explore les fluidités de la frontière entre documentaire et romanesque. Par l’authenticité du cadre et des rapports humains, l’implication sociologique exacte du récit, il se revendique de la veine naturaliste. 

Roberto Saviano scrute avec acuité la dureté sociale, le manque d’horizon pour les enfants des quartiers pauvres. Dans le roman, leur choix se résume à la résignation incarnée par la vie modeste et sans éclat de leurs parents ou à se laisser séduire par la forme de réussite sociale que leur propose le modèle mafieux. Saviano dénonce le phénomène des baby-gangsters, « la paranzza des gamins », à Naples mais également dans le monde entier. Ces très jeunes voyous à vocation mafieuse font preuve d’une avidité particulière dans leurs ambitions territoriales. D’une grande férocité, ils demeurent des enfants et révèlent parfois une certaine naïveté. Ancrés dans leur époque, ils échangent sur WhatsApp, affichent leurs exploits sur les réseaux sociaux, diffusent des vidéos en ligne sur Youtube, plateforme sur laquelle ils apprennent à se servir des armes en suivant des tutoriels. 

Paradoxe du jeune âge, ils ont pour modèles les super-héros des comics et les parrains. Ils sont fascinés par les films de mafia dont ils connaissent les dialogues par cœur, « Scarface » (1983), « L’Impasse » (1993) de Brian de Palma, « Le Parrain » (1972) de Francis Ford Coppola, « Le Maître de la Camorra » (1986) de Giuseppe Tornatore. Ils réinventent au gré de leur cinéphilie les rites initiatiques de la mafia sicilienne et nouent des pactes de sang. Par le biais de la fiction, Roberto Saviano aborde ces personnages sous un biais psychologique. Il creuse la psyché de ces garçons, des enfants qui jouent aux hommes, interroge leurs aspirations, leurs rêves et décrypte la fin de l’innocence. 

Poursuites haletantes, protagonistes survoltés sans cesse en mouvement, scènes très cinématographiques, rythment une narration dynamique portée par une écriture énergique sans prétention littéraire. A la conquête de la ville, ces adolescents ne craignent pas la mort, inconscients du danger, désinvoltes. Ils tuent sans état d’âme, des inconnus pour s’exercer, des gamins qui la minute d’avant étaient encore leurs amis. Négociations, alliances, exécutions, inimitiés, l’engrenage implacable se met en place. Récit glaçant, sur la précocité de la violence, la rapide escalade vers l’irréversible, « Piranhas » embrasse avec force le destin tragique de ces baby-gangsters.

Piranhas - Roberto Saviano - Traduction Vincent Raynaud - Editions Gallimard - Edition de poche Folio



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.