Lundi Librairie : Sans nouvelles de Gurb - Eduardo Mendoza

 

Un vaisseau extraterrestre en mission de reconnaissance sur la Terre se pose à Barcelone. Les deux aliens qui composent l’équipage, voyagent désincarnés, pure intelligence. Gurb le second de la navette est envoyé en éclaireur à la rencontre des humains. Afin de passer incognito, il a choisi dans le Catalogue Astral Terrestre Indicatif des Formes Assimilables de se matérialiser sous les traits de Madonna. Mais bientôt, il apparaît à son coéquipier que Grub a disparu. Incapable de manœuvrer le vaisseau seul, il décide alors de partir à la recherche de son copilote. Pour se fondre dans le paysage et circuler discrètement, il prend successivement l’apparence de personnages historiques, le Comte-duc d'Olivares, Grand d’Espagne, ministre de Philippe IV au XVIIème siècle, le poète philosophe Miguel de Unamuno, l’acteur Paquirrín, l’amiral japonais Isoroku Yamamoto, le Pape Pie XII, le duc de Kent, Gary Cooper ou encore Alphonse V roi de León. Au fur et à mesure de ses découvertes, il tient scrupuleusement un journal de bord, sorte de carnet de voyage d’un genre nouveau. Fasciné par les us et coutumes de l’espèce autochtone, il tente de s’acclimater aux conditions de la vie sur cette planète en commençant par s’adapter tant bien que mal à cette physionomie, cet organisme si peu fonctionnel. Alors qu’il tente de fraterniser avec les humains, il enchaîne catastrophes et maladresses. Sa naïveté bonhomme attire la sympathie d’un couple de restaurateurs, ses excès les foudres d’une concierge pas commode. Tandis qu’il tente de séduire maladroitement sa voisine, une mère célibataire qui n’en demandait pas tant, il s’acoquine avec des poivrots dans des bars de nuit, se bâfre de beignets et prend de bien mauvaises habitudes, très humaines. 

Roman inclassable, publié initialement sous la forme d’un feuilleton dans le quotidien El Pais, « Sans nouvelles de Gurb » prend la forme d’un carnet de bord insolite, farce joyeuse truffée d’incongruités et de loufoqueries un peu dingue. Cette histoire d’extraterrestre perdu sur les Ramblas, un candide propulsé dans quotidiens contemporains absurdes vus de l’extérieur, se révèle divertissement spirituel en diable. Eduardo Mendoza, ironie piquante, plume alerte, associe dans ce récit enlevé science-fiction et humour. Les mésaventures rocambolesques d’un extraterrestre qui fait l’expérience étrange de la vie humaine sont aussi farfelues que savoureuse.

Les gaffes de ce héros improbable, le regard aussi curieux qu’ingénu porté sur nos mœurs, engendrent déboires et quiproquos dans une grande vague d’incompréhensions délicieuses. Eduardo Mendoza s’amuse des différents problèmes liés à l’incarnation dans des corps humains. Le manque de fonctionnalité paraît évident. En outre, il est nécessaire se nourrir, se laver, préserver son intégrité. Le premier extraterrestre prend l’apparence d’une chanteuse pop célèbre, Martha Sanchez en VO, Madonna en VF, un sexe symbole qui va faire tourner les têtes tandis que le second alterne, au gré de son inspiration sans se soucier de cohérence. Délicat de passer inaperçu quand il se donne l’apparence de Gilbert Bécaud en tortue ninja. Il rencontre quelques difficultés à se plier aux conventions sociales. 

Au fil du récit, le narrateur se prend d’une véritable affection pour le genre humain au point de développer un mimétisme cocasse dans les défauts même, la saoulographie, la paresse, la goinfrerie et la junk food. Sous l’influence des Terriens, ses idées évoluent, ses objectifs deviennent de plus en plus terre à terre trouver un appartement, un travail, une fiancée. Son nouveau mode de vie finit par le transformer. 

Le texte très visuel éclaire les petites absurdités du quotidien, la ville espace de non-sens exempte de logique. Comique de situation, comique de répétition, Eduardo Mendoza épingle avec malice les travers de ses congénères dans une critique légère empreinte de burlesque. A travers cette satire désopilante, il croque les travers de nos sociétés modernes, leurs valeurs douteuses, les relations humaines, le rapport à l’argent. L’extraterrestre bien plus humaniste que les hommes vient souligner les contradictions du monde occidental. Ces tribulations cocasses sont le remède idéal à la morosité.

Sans nouvelles de Gurb - Eduardo Mendoza - Traduction François Maspero - Editions du Seuil - Edition de poche Points



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.