Après douze ans d’absence et de brèves cartes postales à l’occasion des anniversaires, Louis, dramaturge à succès, retourne dans le village où il a grandi pour revoir sa famille. Il doit leur annoncer sa maladie et sa mort prochaine. Il arrive un dimanche, un jour de canicule qui exacerbe les tensions. Très vite, il se rend compte qu’il ne partage plus rien avec ces parents qui a défaut de savoir se parler, s’invectivent, se hurlent dessus, ne s’écoutent pas les uns les autres. Chacun semble éprouver une forme de rancœur teintée de jalousie ou d’admiration rentrée envers celui qui est parti, cet intellectuel dont le raffinement les humilie. Martine, la mère radote et se complait dans les souvenirs idéalisés d’un passé qu’elle imagine heureux. Suzanne, la petite sœur paumée, beaucoup plus jeune qu’il n’a jamais vraiment connu, fume des joints à longueur de journée pour échapper à son quotidien. Antoine le colérique frère aîné, toujours au bord de l’explosion, l’injure à la bouche, violence qui couve, fait régner la terreur. Catherine, la belle-sœur que Louis rencontre pour la première fois, timide, effacée que tout le monde prend pour une idiote est la seule qui devine peut-être la raison cachée de cette visite. Ecrasé par la mélancolie, il ne parvient plus à s’exprimer.
Xavier Dolan adapte pour le grand écran la pièce de Jean-Luc Lagarce, largement autobiographique. Ecrite en 1990, cinq ans avant le décès de son auteur, mort du sida, elle laissait planer tout au fil de la narration, le stigmate de la maladie, le spectre de l’homophobie. Le sixième long métrage du réalisateur québécois, Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2016, est plus elliptique à ce sujet. Film à fleur de peau, tragédie intime, Xavier Dolan raconte les impossibles retrouvailles d’une famille dysfonctionnelle, véritable champ de bataille où l’amour et la haine semblent se confondre. Dans la touffeur d’un jour de canicule, ce huis clos claustrophobe embrasse le chaos des névroses et question la place du fils prodigue au cœur de la fratrie.
Louis retrouve des parents emplis de rancœurs. Le retour de celui qui a réussi et pour ce faire s’est éloigné d’eux, joue un rôle de révélateur. Ils le rendent responsables de tous leurs maux, l’accablent avec férocité. Il leur oppose sa douceur, son désarroi. Ils se sentent humiliés par le succès de Louis qui gravite désormais dans un univers auquel ils n’ont pas accès. Les personnages ne savent plus se parler. Rongés par le ressentiment ils ne connaissent plus que deux attitudes, l’agression et la défensive, enfermés dans leur souffrance, dans leur solitude. Même lorsqu’ils sont ensemble.
Partition radicale à l’intensité dramatique, le réalisateur donne à penser la conscience du temps qui passe. Il est déjà trop tard pour rattraper les moments qu’ils n’ont pas vécu. Le film, lyrique, électrique, alterne les outrances et la sensibilité, les fulgurances poétiques et les moments de grâce. Xavier Dolan parvient à filmer l’incommunicabilité. Par la multiplication des gros plans sur les visages de ses comédiens, parti pris fort de la mise en scène, il souligne l’impossibilité de nouer le dialogue, de rétablir le lien. A l’écran, les personnages apparaissent seuls. Le cinéaste capte l’émotion qui affleure, saisit les échanges de regard, les silences. Le dispositif minimaliste au plus près de ses acteurs est porté par l’interprétation poignante d’une distribution française de haute volée.
Avec une grande justesse Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Vincent Cassel, Marion Cotillard, Léa Seydoux incarnent la frustration, le déni, le poids des non-dits, l’ambiguïté, les fêlures, la peur, l’angoisse. La noirceur de la situation, la dimension grotesque met en lumière le drame de la condition humaine, l’implacable solitude. Un film bouleversant.
Juste la fin du monde, de Xavier Dolan
Sortie le 21 septembre 2016
Disponible sur Netflix
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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