Série : The Deuce, de David Simon et George Pelecanos - Saisons 1 à 3 disponibles sur OCS



Dans les années 1970 à New York, la criminalité flambe soutenue par la mainmise des mafias italienne et irlandaise, ainsi que la corruption de la police. The Deuce, surnom de la quarante-deuxième rue à Manhattan est l’épicentre des trafics les plus divers, drogues et prostitution. Sur les trottoirs de Time Square, les proxénètes, CeeCee, Reggie Love, Rodney mènent la vie dure à leurs filles, Ruby, Loretta, Shay. Lori, la petite dernière vient de débarquer de son Minnesota natal est bomée sous la coupe de CeeCee. Seule Candy, alias Eileen, indépendante refuse de se plier à la loi des marlous, quitte à se mettre en danger. Patron de bar désabusé, Vincent Martino s’associe avec la mafia pour ouvrir un nouvel établissement tandis qu’il tente d’éviter les ennuis à son frère jumeau, Frankie, symapthique magouilleur sans attaches. Abby jeune étudiante rebelle issue d’une famille aisée, laisse tomber ses études pour devenir barmaid et se rapproche de Vincent. Alors que les prostituées pour se faire quelques billets de plus acceptent parfois d’être filmées pour de courtes scènes pornographiques dont les cassettes s’échangent illégalement entre amateurs sous le manteau, la loi évolue ouvrant une brèche sur ce nouveau créneau.

L’ancien journaliste David Simon et l’écrivain George Pelecano, duo dynamique déjà co-créateurs de séries marquantes telles que « The Wire » signent une fresque sociale puissante en trois saisons sans concession. Prenant pour thème l’essor de l’industrie pornographique aux Etats-Unis au cours des années 1970 dans la saison 1 jusqu’au milieu des années 1980 dans la saison 3, « The Deuce » livre une critique radicale de la société américaine, portait humain, nuancé, pas dénué parfois de notes d’humour sardonique bien que foncièrement désespéré et ultra-réaliste. La période charnière abordée marque l’entrée dans une nouvelle ère à la fois par la revendication d’une forme de libération sexuelle et la redéfinition légale de la nation d’obscénité qui conduit à la légalisation de la pornographie.

David Simon et George Pelecano décryptent l’avènement d’un commerce du sexe différent. Le petit marché clandestin du porno sous le manteau devient sous nos yeux la richissime industrie du X. En imaginant des personnages contrastés et profonds, ils s’attachent à la pluralité des destins, aux oubliés du système. Par le prisme de cette vision élargie, ils mettent en scène le revers du rêve américain, la cruauté des inégalités sociales toujours plus prégnantes.

Série HBO, « The Deuce » bénéficie d’une qualité de l’écriture et de réalisation, fidèle la réputation de la chaîner. La reconstitution plus vraie que nature du New York interlope des trafics et des lieux de la nuit entraîne le spectateur dans une ville délabrée, victime du marasme économique. Très loin de la carte postale idyllique, bars louches, cinéma porno, contre-allées sordides, plateaux de tournage glauque embrassent l’atmosphère poisseuse d’une cité dans la tourmente. Dans cette atmosphère méphitique s’épanouit une industrie aussi sulfureuse que lucrative, la pornographie à l’échelle internationale. « The Deuce » parvient à saisir les mutations de la société à travers les métamorphoses de la ville elle-même.

Une galerie de personnages attachants incarne le visage de cette nouvelle Babylone. Dans la peau de figures iconiques, la série se paie le luxe de deux têtes d’affiche. Maggie Gyllenhaal, joue avec nuance et conviction Candy / Eileen. Elle est magnifique dans ce rôle difficile de prostituée indépendante dont la ténacité est mise à l’épreuve par l’horreur de la marchandisation des corps mais qui parvient par son intelligence et son discernement à se faire une place dans l’industrie du porno. James Franco en duo avec lui-même dans le rôle de jumeaux s’avère assez cabotin mais pas dénué de charme. 




Les comédiennes qui prêtent leurs traits aux différentes travailleuses du sexe livrent de véritables performances d'actrices. Emily Meade (Lori), Dominique Fishback (Darlene), Jamie Neumann (Ashley) reflètent toute la complexité des caractères, la fragilité et la force de ces prostituées. La distribution compte un certain nombre d’acteurs vus dans The Wire que l’on retrouve avec plaisir. Method Man et Gbenga Akinnagbe incarnent des proxénètes flamboyants. Lawrence Gilliard Jr. est le policier Alston, Chris Bauer, Bobby, le beau-frère de Vincent. 

Malgré de nombreuses scènes de sexe inhérentes au sujet, « The Deuce » ne sombre jamais dans le vulgaire. Chronique d’une époque au propos bien senti, la série compose un tableau vibrant et inspiré, empreint d’une profonde humanité, d'une empathie sincère.

The Deuce, de David Simon et George Pelecano
Avec : James Franco, Maggie Gyllenhaal, Gbenga Akinnagbe, Chris Bauer, Gary Carr, Chris Coy, Dominique Fishback, Lawrence Gilliard Jr., Margarita Levieva, Emily Meade, Natalie Paul, Michael Rispoli, David Krumholtz, Kim Director, Kayla Foster, Tariq Trotter, Zoe Kazan, Daniel Sauli, Ralph Macchio, Sepideh Moafi, Will Chase, Method Man



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.