Paris : Matisse et les suites parisiennes, paysages urbains, vues d'atelier, la ville transfigurée - Vème



Henri Matisse (1869-1954), chef de fil du Fauvisme, a bouleversé le regard moderne par son chromatisme vibrant, cet art de la composition par la couleur. Les paysages méridionaux et ses intérieurs d’inspiration orientale ont fait sa renommée. Néanmoins, lors de ses années de formation, Matisse se laisse inspirer par Paris, transfigure sous son pinceau les paysages urbains, panoramas colorés au cœur même de la cité. Au 19 quai Saint Michel, il occupe successivement plusieurs ateliers-appartements. Il y donne naissance à des séries dédiées à la cathédrale Notre-Dame et au pont Saint-Michel, séries qu'il appelle suites. Ces œuvres sœurs illustrent savamment la démarche de l’artiste dans les ruptures et les revirements, sa quête de modernité. Différences et similitudes entre les versions révèlent les préoccupations plastiques du peintre. La répétition du motif et les variations de cadre soulignent l’évolution de la forme, de la touche. Matisse interroge la notion de réalisme, le rapport entre le dessin et la couleur, la surface, le volume. 



1895 Le pont

1895-97 Pont Saint-Michel

1897 Pont Saint-Michel, effet de neige

1897 Pont sur la Seine

1899 Vue de Paris

1900 Le pont Saint Michel

1900 Le pont Saint Michel

1900 Le pont Saint Michel

1904 Le pont Saint Michel

Homme du Nord, Henri Matisse est né le 31 décembre 1869 au Cateau-Cambrésis. Il grandit à Bohain-en-Vermandois où se trouve encore la maison familiale des Matisse, ancienne graineterie des parents. Clerc de notaire chez maître Derieux à Saint-Quentin, il ne découvre sa vocation artistique que tardivement. En 1890, hospitalisé pour une crise d’appendicite, il demeure alité durant de longues semaines. Sa mère, peintre-amateur lui offre une boîte de couleurs. Matisse prend goût à ce mode d’expression. Une fois rétabli, il suit des cours de dessin à l'école Quentin-de-La Tour destinée aux dessinateurs en textile de l'industrie locale.

Bientôt, il quitte la Picardie pour Paris où il intègre l’Académie Julian 31 rue du Dragon. En 1892, à l’Ecole des Arts déco, il fait la connaissance d’Albert Marquet, rencontre décisive pour son avenir.  Trois ans plus tard, à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, Matisse rejoint l’atelier de Gustave Moreau. Très vite, il fait partie de la jeune garde des peintres à suivre et fréquente le tout Paris des artistes. John Peter Russell l’introduit auprès d’Auguste Rodin et de Camille Pissarro. Il fait la connaissance de Jean Cocteau, de la danseuse Isadora Duncan. 


1900 Notre Dame
1900 Notre Dame - dessin



1900 Notre Dame
1902 Notre Dame, une fin d'après-midi



















1902 Notre Dame

1902 Vue de Notre Dame

1904 Vue de Notre Dame

1904 Notre Dame


1914 Notre Dame, quai Saint-Michel
1914 Vue de Notre Dame depuis la fenêtre























1897 marque tournant décisif dans sa quête esthétique. Henri Matisse découvre l’impressionnisme au musée du Luxembourg, Cézanne qui deviendra l’une de ses influences majeures, Van Gogh, le pointillisme de Paul Signac. Il s’intéresse particulièrement au traité rédigé par ce dernier « D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme ». Lors de son voyage de noce à Londres en 1899, Matisse est fasciné par le travail de William Turner. Peu à peu, son travail entre en rupture avec l’académie. La touche s’élargit, la palette chromatique s’intensifie alors que la ligne se libère. La même année, il fréquente l’Académie Eugène Carrière, 76 rue de Rennes, et se lie avec André Derain et Jean Puy qui le présentent à Maurice de Vlaminck.

Durant cette période, Henri Matisse tient atelier quai Saint Michel. De 1895 à 1898, il est au 5ème étage où il peint la série de trois tableaux représentant le pont Saint Michel. De 1898 à 1907, il s’installe au 3ème et la vue se modifie subtilement. En 1913, c’est du 2ème étage qu’il compose «Intérieur, bocal de poissons rouges» et en 1914 ces « Vues de Notre Dame » sont exécutées depuis le 4ème étage.  

Dès 1900, Henri Matisse étudie la sculpture et le modelage à l’Académie de la Grande Chaumière, 14 rue de la Grande Chaumière, sous la direction d’Antoine Bourdelle. Il s’ouvre à une variété de techniques qui lui permettent d’appréhender de nombreuses modulations plastiques, la peinture bien sûr, le dessin quotidien, l’illustration graphique et la sculpture. En 1902, Berthe Weill dont la galerie se trouve 25 rue Victor Massé, devient son premier marchand. Elle organise une exposition commune Matisse, Derain, Vlaminck. Ambroise Vollard lui consacre sa première exposition personnelle en 1904 à la galerie du 6 rue Laffitte. 

Henri Matisse passe l’été 1905 à Collioure en compagnie de Derain. Ensemble, ils célèbrent la couleur libérée. Au Salon d’automne de la même année, l’accrochage des œuvres de Matisse, Albert Marquet, Vlaminck, Derain et Kees Van Dongen fait scandale. La critique leur reproche l’outrance des couleurs pures, la violence de l’énergie, acte de naissance du Fauvisme. 


1913 Intérieur, bocal de poissons rouges
1914 Poissons rouges et palette






1916 Atelier quai Saint Michel

1917 Lorette allongée

1917 Le peintre dans son atelier et son modèle
1917 Lorette sur fond noir, robe verte


En 1908, Henri Matisse fonde dans l’ancien Couvent des Oiseaux, l’éphémère Académie libre dite Académie Matisse grâce au soutien de Sarah et Michael Stein. Cette école qui remporte un franc succès auprès des étudiants étrangers déménage bientôt hôtel de Biron, où se trouve déjà l’atelier d’Auguste Rodin, hôtel de Biron futur Musée Rodin. Par la suite, l’académie rejoint Issy-les-Moulineaux où Matisse habite depuis 1909,Villa Grand Parc, 42 route de Clamart.

Le 18 septembre 1909, Matisse signe un contrat avec la Galerie Bernheim-Jeune, galerie historique de l’art moderne, fondée en 1863 au 25 boulevard de la Madeleine. Elle soutient la promotion des peintres réalistes, impressionnistes et, à leurs débuts, les post-impressionnistes. Son directeur artistique Félix Fénéon, assure un revenu à de nombreux artistes de l’avant-garde

Explorant le procédé de la série, comme Claude Monet avant lui, Matisse réalise des suites, paires, triptyques, versions alternatives du même motif avec une prédilection pour le principe des doublons. Le premier tableau est réalisé selon Matisse dans un « jaillissement spontané », peinture fluide, touche légère, le second qu’il nomme « tableau d’expérience » apparaît plus réfléchi, construit en couches successives. Vues générales et détails exécutés dans des formats similaires traduisent l’évolution des modalités picturales dans un jeu de ricochet formel. Dans un temps rapproché, il retravaille le style jusqu’à l’émergence d’une nouvelle version. La comparaison des versions successives donne des clés, permet de mieux comprendre le processus de création comment notamment Matisse pense la forme et la couleur.


1911 L'atelier rose

1911 L'atelier rouge

1911 Intérieur aux aubergines 

1911 La famille du peintre

Au cours des années 1910, le peintre est sur la voie de nouvelle avancée plastique, une simplification de la forme jusqu’à la géométrisation frôle l’abstraction comme dans cette dernière « Vue de Notre Dame » datant de 1914. La première version se déploie dans la profusion des couleurs. L’artiste retranscrit les sensations, le mouvement de la foule, des véhicules. Il peint avec minutie l’architecture des façades. Dans la seconde version, Matisse fait le choix du dépouillement tendant vers l’abstrait. Les structures rigoureuses, les lignes droites échappent à l’idée de nature. L’aplanissement conceptuel des formes, les perspectives écrasées naissent d’aplats de couleurs pures. 

Les sollicitations se multiplient. Matisse expose à Berlin, Moscou, New York. De nouveaux mécènes s’intéressent à son oeuvre. Le collectionneur russe Sergueï Chtchoukine (1854-1936), riche homme d’affaires et de goût, commande en 1908 pour son palais moscovite, des panneaux muraux sur le thème de la danse et de la musique ou encore la série des « Intérieurs symphoniques », comprenant « L’Atelier rose » , « L’Atelier rouge », « Intérieur aux aubergines », « La Famille du peintre ».

De 1917 à 1929, Matisse, en pleine période niçoise, expérimente. Il renouvelle ses motifs, son vocabulaire plastique. Il ose de nouvelles audaces, se laisse guider par ses obsessions décoratives et développe le thème des intérieurs. Cette évolution du langage pictural se poursuit après-guerre. 


1901 Jardin du Luxembourg

1902 Jardin du Luxembourg

1902-03 Le chemin du bois de Boulogne

Durant la Première Guerre Mondiale, le marchand et collectionneur d’art, Paul Guillaume expose les artistes de l’avant-garde. Il organise un évènement Giorgio De Chirico sur la scène du théâtre du Vieux-Colombier. André Derain, Pablo Picasso, Henri Matisse et Kees van Dongen sont représentés dans sa galerie rue de Miromesnil. En 1918 Guillaume Apollinaire rédige le catalogue de l’exposition Matisse / Picasso, selon lui, véritable « conversation visuelle » entre les deux génies du temps.

De 1920 à 1930, Matisse est influencé par l’esthétique orientale. Il trouve de nouvelles solutions d’intégration des figures, signe des compositions en aplats. Il dessine directement avec la couleur, démarche qui trouvera son aboutissement avec les papiers gouachés découpés à la fin de sa vie mais également avec les vitraux de la chapelle de Saint Paul de Vence en 1951, forme de dessin avec la lumière.

De retour à Paris en 1927, Henri Matisse demeure au 132 boulevard de Montparnasse. Par le biais de Paul Guillaume et Ambroise Vollard, il fait la connaissance du collectionneur américain Albert Barnes (1872-1951) médecin, chimiste et capitaine d’industrie. Il commande un grand décor pour la fondation Barnes inaugurée en 1925. Ce sera « La danse de Mérion », oeuvre finalisée en 1933.  Matisse installe son atelier au 37 bis villa d’Alésia juste avant la Seconde Guerre Mondiale qu’il passe à Nice. De 1948 à 1951, il se consacre à la plénitude de la répétition des motifs. En pleine gloire, Henri Matisse déclare : « L’importance d’un artiste se mesure à la quantité de nouveaux signes qu’il aura introduits dans le langage plastique. »

Henri Matisse à Paris 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


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