Paris : L'incroyable histoire de la collection Jean Walter et Paul Guillaume - Musée de l'Orangerie - Ier



A la fois témoignage historique de l’évolution artistique de la fin du XIXème siècle au début du XXème et remarquable ensemble esthétique d’une originalité frappante, la collection Jean Walter et Paul Guillaume offre au visiteur une expérience plastique unique. Constituée par le marchand et collectionneur d’art Paul Guillaume et sa veuve Domenica, remariée en secondes noces à l’architecte et industriel Jean Walter, elle se compose de cent quatorze toiles parmi lesquelles de nombreux Renoir, Matisse, Derain, Picasso, Modigliani, Utrillo, Soutine. Depuis 1984, cette collection est présentée en compagnie des Nymphéas de Monet au Musée de l’Orangerie. Son histoire singulière, liée en grande partie à la personnalité fascinante et effrayante de Domenica, est digne d’un roman. La voici.



Madame Paul Guillaume - André Derain






Paul Guillaume (1891-1934) fait ses premiers pas dans le monde de l’art un peu par hasard. Il découvre dans une cargaison de caoutchouc des figurines gabonaises qu’il décide de présenter dans son garage à Montmartre. Il est l’un des tous premiers à organiser des expositions d’art africain et fonde la « Société d’archéologie nègre » puis une revue pointue dédiée à l’avant-garde parisienne. En 1911, Paul Guillaume se lie d’amitié avec Guillaume Apollinaire qui l’introduit au Bateau-Lavoir. En 1914, il échappe à la conscription et développe ses activités. Il frappe les esprits en exposant la peinture métaphysique de Chirico sur la scène du Vieux Colombier.

Dans le même temps, il devient le marchand attitré d’Amadeo Modigliani et Chaïm Soutine dans sa galerie de la rue de Miromesnil. Durant la guerre, il expose Derain, Picasso, Matisse, Van Dongern. En 1920, il épouse l’aventurière Juliette Lacaze (1898-1977) surnommée Domenica. Albert Barnes, richissime pharmacien américain passionné par la peinture européenne impressionniste et post-impressionniste fait de Paul Guillaume son conseiller et fournisseur dès 1922. Le fruit généreux de leur collaboration est aujourd’hui exposé à la Fondation Albert Barnes à la fois musée et école d’art, près de Philadelphie.










Paul Guillaume meurt prématurément d’une péritonite provoquée par une appendicite non-soignée en 1934. Les hésitations de son épouse pour le faire hospitaliser soulèvent alors des questions mais Domenica n’est pas plus inquiétée. Ce qui lui pose problème, c’est surtout l’héritage de son défunt mari. En effet, le marchand d’art avait manifesté par écrit l’intention de léguer sa collection au musée d’art moderne du jardin du Luxembourg au cas où sa femme ne lui aurait pas donné d'héritier. Le Ministère de la Culture se ravit de ce don.

Afin que la succession ne lui échappe pas, Domenica simule une grossesse, obtient un certificat et adopte discrètement un enfant, Jean-Pierre, grâce à l’entremise de Marcelle Riembault « trafiqueuse d’enfants » qui vend des bébés à la haute société, rue Pasquier, en réalisant de faux papiers. Retrouvant la mainmise sur les précieux tableaux, elle oriente la collection en vendant les toiles les plus avant-gardistes comme les œuvres cubistes de Picasso pour acheter des Monet et des Cézanne. Domenica se remarie en 1938 avec son amant de longue date, Jean Walter, un architecte devenu millionnaire grâce aux affaires. Celui-ci exige l’adoption légale du petit Jean-Pierre comme condition du mariage. 

En 1957, Dominica a un nouvel amant, le Dr Maurice Lacour, homéopathe. Alors que la famille Walter sort du restaurant où ils vont déjeuner tous les dimanches à Souppes-sur-Loing, Jean Walter est renversé par une voiture. Refusant qu’une ambulance soit appelée, elle choisit de conduire son époux blessé à l’hôpital de Montargis dans leur propre voiture en compagnie du Dr Lacour. Lorsqu’ils arrivent aux urgences, il est trop tard, Jean Walter est décédé. Nouvelles interrogations quant aux curieuses décisions de la veuve.






Portrait de Paul Guillaume - Amadeo Modigliani


En 1959, craignant que son fils adoptif Jean-Pierre Guillaume puisse faire valoir ses droits à la succession, Domenica, aidée de Maurice Lacour et de Jean Lacaze, son propre frère, fomente un complot visant à l’assassiner. C’est le début du scandale de "l’affaire Lacaze". Dénoncés par le commandant Rayon, un ancien para qu’ils avaient engagé pour exécuter le sale boulot, Lacour est condamné mais Domenica échappe à une inculpation. Ce retournement de situation ne la décide pas à mettre de l’eau dans son vin et dans une ultime tentative de manipulation, elle essaie de faire condamner Jean-Pierre pour proxénétisme afin de récuser l’héritage. Peine perdue.











Le Ministère de la Culture obtient la cession de la collection en deux contrats signés en 1959 et 1963. Il se murmure qu’André Malraux qui déjeunait souvent avec Domenica aurait négocié un arrangement pour abandonner les charges qui menaçaient la veuve joyeuse contre la collection. Cependant, les négociations auraient débutées dès 1957, avant le scandale et la nomination de Malraux au ministère. L’Etat achète donc la collection Jean Walter et Paul Guillaume sous réserve d’usufruit avec la participation des Amis du Louvre. Elle compte alors 16 Cézanne, 23 Renoir, 5 Modigliani, 12 Picasso, 10 Matisse, 27 Derain, 22 Soutine. Au décès de Domenica en 1977, elle intègre l’Orangerie où elle est présentée depuis 1984.

Jardin des Tuileries - Paris 1
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