Victor, dessinateur de presse sexagénaire qui a connu son heure de gloire, végète désormais en panne d’inspiration. Désabusé, réfractaire à l’air du temps, à tel point que son attitude est devenu un sujet de moquerie parmi ses proches, il n’arrive plus à trouver ses marques. Tout l’opposé de sa femme, Marianne, psychanalyste en ligne, hyperconnectée, très dynamique qui plonge avec délice dans toutes les nouveautés qui le désolent. Obnubilée par la technologie, le numérique et le virtuel, elle refuse de se laisser distancer par l’époque et de vieillir. Victor vit dans le passé alors que Marianne ne regarde que vers le futur. Entre eux, le temps a distendu les liens. Marianne, exaspérée par la morosité de Victor, le met à la porte. Leur fils ému par le désarroi de son père fait appel à un ami, Antoine. Cet entrepreneur a monté une société de production Time Travellers qui met en scène des reconstitutions d’époque pour des clients fortunés. Il propose à Victor de revivre le plus beau jour de sa vie, le 16 mai 1974, date à laquelle il a rencontré la femme de sa vie. Dans décor de bistrot lyonnais reconstitué en studio et peuplé de figurants en costume tous dotés d’oreillettes pour parfaire l’illusion, Victor voit surgir Margot comédienne qui interprète Marianne à vingt-cinq ans. Bien que conscient de l’artificialité de l’expérience, Victor se laisse aller.
Comédie romantique douce-amère, le deuxième long-métrage de Nicolas Bedos après « Monsieur et Madame Adelman » est un film ambitieux. Cette histoire d’amour qui retrouve un nouveau souffle sur fond de glissement temporel convoque les grandes thématiques de l’usure du couple et de la pérennité du sentiment amoureux. Avec un talent de conteur évident et une troupe de comédiens épatants, Nicolas Bedos laisse s’exprimer son goût du dialogue percutant, de la mise en scène efficace, un imaginaire très personnel pas dépourvu de nostalgie.
D’une vivacité réjouissante, le récit se déploie sur le fil d’une construction narrative foisonnante, déployant deux époques et deux réalités. Porté par un puissant souffle romanesque, le film brouille la frontière entre fiction et réalité. La mise en scène des souvenirs, la grande illusion produite par la fabrique du faux permet de saisir l’instant magique, l’étincelle.
Par la grâce de l’écriture, verbe haut, saillie drolatique, Nicolas Bedos apporte une tonalité singulière à ce film alerte, spirituel et acide. Le réalisateur semble donner beaucoup de lui-même convoquant l’ombre du père pour lui rendre hommage lorsqu’il scrute l’attitude des baby-boomers face à l’époque. Sous les traits du très atrabilaire Antoine, il ne serait pas impossible de voir un autoportrait en creux du cinéaste lui-même.
Les blessures du temps ont dilué les sentiments. Pour Victor, le bonheur a fui ainsi que l’envie d’exister. D’une mélancolie poignante, il ne peut plus échapper au sentiment de déroute qui l’habite. La reconstitution, manipulation temporelle presque magique que lui propose Antoine lui permet de se plonger dans les souvenirs pour retrouver le goût de vivre au présent. Daniel Auteuil tout en délicatesse et subtilité, Doria Tillier délicieuse de force et de fragilité, Fanny Ardant, cruelle, touchante et sincère, Guillaume Canet, amoureux jaloux, colérique metteur en scène forment un quatuor remarquable. Inventivité, rire et fantaisie, « La Belle Epoque » nous donne l’occasion d’une grande réconciliation avec l’existence.
La Belle Epoque, de Nicolas Bedos
Sortie le 6 novembre 2019
Sortie VOD le 6 mars 2020
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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