Paris : Les artistes au Moulin de la Galette - XVIIIème



Les artistes de l'avant-garde ont propagé à travers les siècles la légende du Moulin de la Galette par la qualité d'oeuvres aussi frappantes que variées. Pierre-Auguste Renoir, Henri de Toulouse-Lautrec, Vincent Van Gogh, Pablo Picasso fréquentent tous ce bal public. Attirés par l’idée de saisir l’air du temps, ils y captent dans l'instant la réalité de la société parisienne hors des ateliers. La représentation du bal du Moulin de la Galette appartient à l’histoire intime de Montmartre, commune annexé à la ville de Paris en 1860. Les paysagistes comme Paul Signac ou Maurice Utrillo sont séduits par les paysages champêtres d’un village à peine urbanisé tandis que d’autres se laissent happer par les scènes de genre au cœur des hauts lieux de la nuit parisienne. Le Moulin de la Galette incarne ce nouveau type d’établissements populaires où se pressent les personnages hauts en couleur de la bohème. En choisissant pour motif cette foule bigarrée, les peintres rendent compte d’une forme d’ébullition sociale, culturelle, illustrent un quotidien tangible dans toute sa vérité. Mélange des genres, des origines, l’ouvrier y côtoie le grand bourgeois. Cela se traduit plastiquement par un travail nouveau de la lumière, du mouvement. Le bal Debray, guinguette réputée qui attire les foules depuis le début des années 1830 devient sous le nom de Moulin de la Galette un emblème de la vie nocturne de la Butte. Transformé dès 1890 en cabaret fermé après avoir été bal public en plein air, il rend compte de l’essor de l’industrie du spectacle et annonce l’ère du divertissement. Interlope, vaguement louche à la fin du XIXème siècle, il évolue en music-hall à partir de 1924 puis devient studio de l’ORTF jusqu’en 1974. Le bal du Moulin de la Galette aura inspiré les plus grands artistes des avant-gardes du XXème siècle. 


Henri de Toulouse Lautrec 1889

Henri de Toulouse Lautrec 1892
Henri de Toulouse Lautrec 1889




Paul Signac 1886


Au lendemain de la chute de Napoléon Ier, à Montmartre, l’héritier de la famille Debray, dynastie de meuniers de la Butte, est un fameux amateur de danse. Il dispense des cours aux riverains et aux Parisiens qui viennent prendre l’air le week-end. Il est propriétaire de deux moulins, le Radet et le Blute-fin, perché sur un petit tertre en plein maquis de Montmartre, tertre sur lequel les Romains avaient établi un temple dédié au dieu Mars. Dès 1833, il organise le dimanche dans la cour de la ferme Debray au pied du Blute-fin, un bal public en plein air. De 15h à la nuit tombée, une foule s’y presse pour danser, boire le petit vin blanc aigrelet de Montmartre et déguster les galettes de seigle qui donneront son surnom à la guinguette. En 1834, Debray transfère le Radet à l’intérieur de la ferme, à la croisée de la rue Giraudon et de l’allée des Deux-frères. Durant la semaine, les moulins poursuivent leurs activités meunières. 

Avec le développement des accès à la Butte Montmartre, la vie nocturne s’y fait plus intense d’autant que le village au-delà des barrières d’octroi n’est pas soumis aux taxes qui pèsent sur le vin dans Paris intra-muros. A partir de 1809, une nouvelle rue baptisée chemin Neuf, puis en 1852 rue l’Empereur, avant de devenir en 1864 la rue Lepic facilite le transport. Cette voie adaptée à la circulation en voiture notamment, rassemble divers chemins de terre et sentiers rectifiés conduisant de la barrière Blanche, la place Blanche, au haut de la Butte Montmartre. En 1860, sous l’impulsion de Napoléon III, Montmartre est annexée à la ville de Paris. Dans les années 1870, le bal Debray ouvre quatre jours par semaine, les moulins sont relégués au rang de décor pittoresque. Il prend officiellement le nom de bal du Moulin de la Galette en 1895. La Goulue et Valentin le désossé y font leurs débuts tandis que les peintres jouent un rôle important en assurant par leurs toiles la réputation de l’établissement. 

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) s’ingénie à saisir l’âme de Montmartre, la vie des cabarets, des théâtres, l’électricité de la nuit et les distractions canailles. Il s’attache aux personnalités, les excentricités, les talents variés comme Louise Weber dite la Goulue, Jane Avril, Yvette Guibert. Il encourage Suzanne Valandon alors modèle dans sa vocation de peintre. Toulouse-Lautrec s’intéresse à la réalité de la société dans ses aspects authentiques voire même les plus crapuleux. Le Moulin de la Galette ne sera pas son quartier général à Montmartre mais il laissera tout de même une trace. Il lui préfère notamment le Moulin Rouge. Toulouse-Lautrec porte un regard amusé, grave, lucide sur les plaisirs, la débauche de ces cabarets. Dans cette énergie érotique, ce mouvement perpétuel, il puise, en véritable précurseur des avant-gardes du XXème siècle, une modernité pas exempte d’humour. 


Pierre Auguste Renoir 1876


Pierre Auguste Renoir 1886
Kees Van Dongen 1904-05



Kees Van Dongen 1904-05

Raoul Dufy 1942


En comparaison, Pierre Auguste Renoir (1841-1919) semble bien sage. Il s’installe au début des années 1880 dans un petit atelier de la rue Cortot afin de réaliser un grand tableau, "Le bal du Moulin de la Galette". Les études sont nombreuses, la recherche intense. La toile est achevée en 1886 puis présentée en 1887 lors de la Troisième exposition du groupe impressionniste. Renoir représente la vie parisienne, ses proches amis. Il saisit l’instant, retranscrit une atmosphère, une forme d’insouciance bon enfant toute de fraîcheur et de joie. Dans cette œuvre particulière, il traduit le mouvement par des effets floutés, l’atmosphère de liberté par un fourmillement des motifs. Le tableau acheté par le peintre Gustave Caillebotte en 1879 est légué par testament à l’Etat en 1894. Une version plus petite circule dans des collections privées. 

Il est intéressant de comparer la représentation du Moulin de la Galette de Renoir à celle proposée en 1904-05 par Kees Van Dongen (1877-1968). Trente ans les séparent et au-delà des sensibilités esthétiques différentes, l’évolution de l’atmosphère est frappante. Le Moulin de la Galette devenu bal fermé semble plus canaille. Dans ce tableau de foule mouvante, les couleurs assombries, plus crues de la palette fauve soulignent les attitudes directes, gestes lestes d’une séduction sexuée. Van Dongen, qui multiplie néanmoins les clins d’œil à Renoir, porte un regard moins naïf sur les bals populaires fréquentés par les lorettes, voyous, les apaches. Misère, alcool, prostitution sont des motifs prégnants de ces scènes. Le peintre acquiert à Paris la reconnaissance. A Montmartre puis à Montparnasse, il s’attache à représenter la ville, la foule, la bohème dans l’exaltation des sens, une vivacité qui répond à l’ambiance de la nuit. En 1942, lorsque Raoul Dufy (1877-1953) peint un Moulin de la Galette d’après Renoir, il rend aussi un peu hommage dans son fauvisme à Van Dongen


Vincent Van Gogh 1886

Vincent Van Gogh 1886

Vincent Van Gogh 1886

Vincent Van Gogh 1886
Vincent Van Gogh 1886



Vincent Van Gogh 1886


Vincent Van Gogh 1886
Vincent Van Gogh 1886





















Noctambule averti, Vincent Van Gogh (1853-1890) a pourtant offert une vision apaisée et champêtre du Moulin de la Galette. En 1886, il quitte les Pays-Bas pour s’installer chez son frère Théo, marchand d’art à Paris, qui demeure à Montmartre. Ce séjour marque une période charnière pour l’artiste qui puise dans la fréquentation de l’avant-garde, les impressionnistes, les pointillistes de nouveaux moteurs de renouvellement. A cette période, il se pique également de japonisme. 

Van Gogh fréquente assidument Toulouse-Lautrec, Pissarro, Gauguin, Emile Bernard, Charles Angrand, Louis Anquetin. Il invente ses propres techniques, sa touche, libère sa palette. Fasciné par les atmosphères pastorales, il peint les paisibles paysages du haut Montmartre et s’encanaille dans un bas Montmartre plus urbanisé. En juin 1886, Théo trouve un appartement avec atelier au 54 rue Lepic à quelques pas du Moulin de la Galette. Vincent scrute la lumière, la couleur des paysages ruraux de Montmartre tandis que la vie nocturne lui inspire d’autres variations.


Ramon Casas 1890-91
Ramon Casas 1890-91




Ramon Casas 1891


Ramon Casas 1905
Ramon Casas 1892




Ludovic Rodo Pissarro 1900

Pablo Picasso 1900


Isaac Israëls 1904-05
Isaac Israëls 1904-05









C’est la séduction trouble des lieux interlopes que Ramon Casas (1866-1932) ainsi que Pablo Picasso (1881-1973) s’attachent à retranscrire dans leurs tableaux évoquant le Moulin de la Galette. Ramon Casos s’installe à Montmartre en 1890 avec ses amis Rusiñol, Miquel Utrillo et Ramon Canudas. Ses œuvres évoquant le Moulin de la Galette reçoivent de nombreux prix internationaux. Il quitte Paris en 1896 et retourne à Barcelone. Pablo Picasso qui y vit aussi se rend à Paris à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900. Il y séjourne deux mois et découvre la bohème montmartroise, les galeries, les cafés, les bals, les cabarets. Les lieux de mauvaise vie l’intéressent dans leur effervescence populaire que la créativité des artistes transcende. 

Isaac Israëls (1865-1934), peintre néerlandais associé au mouvement impressionniste d’Amsterdam réside en France entre 1904 et 1905. A l’instar de ses pairs, il est séduit par l’effervescence du Moulin de la Galette dont il peint la salle de bal à plusieurs reprises.

Au début des années 1920, Pierre Auguste Debray mène d’importants travaux dans sa propriété afin de développer les activités festives du Moulin de la Galette. Il envisage un temps de raser le Radet car il fait doublon avec le Blute-fin. Les riverains galvanisés par l’association la Société du Vieux Montmartre se portent au secours du moulin. Debray finalement choisit de ne pas s’en défaire. En 1924, le Radet vidé de son mécanisme, désormais carcasse publicitaire, est planté au sommet d’une construction qui fait l’angle des rues Lepic et Giraudon. 


Maurice Utrillo 1908

Maurice Utrillo 1922

Maurice Utrillo 1922

Maurice Utrillo 1922

Maurice Utrillo 1923

Maurice Utrillo 1938

Maurice Utrillo 1949

Maurice Utrillo

Maurice Utrillo

Fils de Suzanne Valadon, le nom de Maurice Utrillo (1883-1955) est intimement lié à celui de Montmartre où il est né. Authentique autochtone de la Butte, il impose son style dépouillé et devient une figure phare de l’Ecole de Paris. Utrillo peint et expose dans les cabarets qu’il fréquente assidument. Sur le fil d’une figuration spontanée qui fait son originalité, il croque des scènes urbaines pittoresques, revenant inlassablement sur le même motif, le même endroit notamment le Moulin de la Galette et ses deux moulins. 

Les paysages urbains le passionnent et il s’attache à représenter les lieux de la vie de bohème, les quartiers mal famés, les faubourgs. Son travail se plonge dans les couleurs de la réalité, palette chromatique terreuses, textures grumeleuses.  Artiste prolifique, sa carrière sera néanmoins troublée par ses problèmes d’alcool et ses nombreux séjours en cure de désintoxication. Il trouve dans l’énergie libératrice de la peinture une forme de rédemption qui lui évite la déchéance. 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 



Gen Paul 1925

Gen Paul 1925

Gen Paul 1929

Gen Paul 1955