Lundi Librairie : Le roman du mariage - Jeffrey Eugenides



Le roman du mariage - Jeffrey Eugenides : Au début des années 1980, sur le campus de la prestigieuse université de Brown, trois étudiants découvrent la littérature et le sexe avant de basculer vers l’âge adulte. Madeleine, fille d’une famille aisée de Boston, disculpée par les théories féministes se laisse portée par son engouement pour Jane Austen. Lorsqu’elle s’inscrit au cours de sémiologie où elle découvre fascinée le structuralisme, Derrida, Saussure, Foucauld, Deleuze. Elle est obsédée par « Fragments d’un discours amoureux » de Roland Barthes, oeuvre qui déconstruit l’idée d’amour mais lui inspire paradoxalement un regain de sentimentalisme. Madeleine fait la connaissance de Leonard, brillant étudiant en biologie qui rêve d’une carrière de chercheur. Elle s’éprend très vite. Coqueluche du campus, séducteur, il révèle bientôt une grande fragilité psychologique et des symptômes cliniques inquiétants. Amoureux de Madeleine depuis la première année, Mitchell ne s’est jamais déclaré malgré quelques tentatives peu concluantes. Il est cantonné au rôle du très bon ami mais demeure intimement convaincu qu’elle sera sa femme un jour. Mitchell attend donc son heure avec plus ou moins de patience. Etudiant en théologie, attiré par la spiritualité et le mysticisme, cet amour à sens unique le longe dans une forme de crise existentielle. Il part en Europe puis en Inde dans un grand voyage initiatique sur les traces de Mère Teresa. 

Roman d’apprentissage, étude psychologique, le troisième ouvrage du très culte Jeffrey Eugenides, auteur de Virgin Suicides et Middlesex, s’empare du motif classique du trio amoureux pour évoquer la quête du bonheur, l’amour, la littérature. Plaçant son récit dans les années 1980, à l’université de Brown où il a lui-même poursuivi ses études, le romancier convoque la forme du roman matrimonial, pure tradition du XIXème siècle avec Jane Austen ou encore George Eliot, pour le transposer au début des années 1980, aux Etats-Unis à l’ère Reagan. Si le XXème siècle semble plus libre sur le plan social et sexuel, les entraves psychologiques demeurent, laissant affleurer névroses et dépression.

Jeffrey Eugenides trace le portrait d’une époque où le structuralisme français connaît un grand retentissement sur les campus américains. A travers ses souvenirs presque autobiographiques, il questionne l’influence du savoir théorique sur la vie réelle. Dans Le roman du mariage, la sémiologie semble justifier les personnages à eux-mêmes. Mais cette génération qui professe de nouvelles idéologies libertaires conserve profondément ancré le goût des conventions. Les passions contrariées sont déjà marquées par les futures compromissions de l’âge adulte. 

Comédie dramatique, exigeante, tout au long du récit précis, inspiré, Jeffrey Eugenides distille en filigrane un humour subtil savoureux, croquant, féroce, ses pairs et lui-même. Avec un sens aigu de l’image, il compose des scènes au découpage presque cinématographique. La construction narrative navigue entre les époques, bascule tour à tour d’un personnage à l’autre, alternant les points de vue pour mieux explorer la psychologie de chacun. Ecriture affûtée, Jeffrey Eugenides analyse les comportements comme les sentiments avec profondeur et nuance. Il déploie finesse et intelligence pour évoquer la question délicate de la maladie mentale. 

Le romancier interroge cette époque singulière de la vie où en quête de sens, les étudiants puisent dans la littérature pour se construire. Les protagonistes du roman se confrontent à la fois aux utopies et à la réalité. Ils expérimentent les désillusions, les frustrations.  En découvrant l’amour et la difficulté d’aimer, ils font face à l’échec, apprennent à assumer leurs désirs contradictoires. Perdre son innocence, renoncer à ses dernières illusions, ce récit d’initiation parvient à saisir l’instant suspendu où les êtres deviennent définitivement des adultes.

Le roman du mariage - Jeffrey Eugenides - Traduction Olivier Deparis - Editions de l’Olivier - Edition de poche Points



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.