Millénium Blues - Faïza Guène : En 2003, Zouzou et Carmen, 18 et 20 ans, sont bloquées dans les embouteillages en pleine canicule. Carmen au volant déboîte soudainement et percute un scooter. La conductrice décède. Carmen, brisée mentalement par ce tragique accident, ne se remettra pas du poids de la culpabilité. Six ans auparavant, Zouzou a 12 ans. Ses parents viennent de se séparer. Son père, à la tête d’une entreprise de BTP, se portait plutôt bien avant que la faillite soudaine ne vienne le plonger dans les affres du chômage et des fins de mois difficiles. Sa mère espère refaire sa vie. Le soir, lorsqu’elle sort, elle confie sa gamine à Carmen, la fille des gardiens, à peine deux ans de plus et plutôt aventureuse. Elles deviennent meilleures amies. Autant Carmen est expansive et téméraire, autant Zouzou est timide, effacée, attachante petite souris. Elle écoute les chansons d’ABBA en boucle, fantasme secrètement sur Charles Ingalls et Youri Djorkaeff, le milieu de terrain des Bleus. Elève moyenne, Zouzou n’est pas choyée par le système scolaire qui ne lui propose qu’un destin médiocre. A défaut, de trouver un métier qu’elle aime, elle souhaite néanmoins s’orienter vers un métier utile. Marquée par les tristes conditions de vie de sa grand-mère, elle embrasse une carrière dans les soins aux personnes âgées pour leur apporter un peu de joie. Et puis elle rencontre Eddy, un jeune aspirant comédien gitan. C’est son premier amour.
Romancière, scénariste, réalisatrice, Faïza Guène signe un cinquième livre très réussi, quatorze ans après Kiffe kiffe demain. Le titre générationnel de ce nouvel opus fait référence au forfait téléphonique, soir et weekend illimités, lancé par SFR à la fin des années 1990, véritable symbole d’un tournant. Evolution des communications, naissance d’internet, société mouvante, ces changements font basculer le quotidien. Roman initiatique dont la construction diffractée fait des aller-retours entre les époques, "Millénium Blues" par son récit à la première personne promet une proximité du journal intime. La narratrice Zouïna dite Zouzou, de l’adolescence à l’âge adulte, entraîne le lecteur au fil de son propre parcours de vie tandis que l’autrice trace en filigrane le portrait contrasté et mélancolique de la génération Y, la génération "why ?", « pourquoi ». Sous la plume éloquente et poétique de Faïza Guène, la vie devient un peu moins cruelle, pondérée par la verve sincère, la vivacité expressive et l’humour tendre d’un écrivain de son temps.
Chronique d’une époque, mêlant l’intime et le collectif, "Millénium Blues" convoque la réalité du quotidien avec pour toile de fond l’histoire contemporain de la France. Les événements marquants de ce tournant de siècle et de millénaire, le 11 septembre, la Coupe du Monde 1998, le second tour des élections présidentielles 2002, la grippe A, les icônes de la culture populaire ancrent le récit dans son époque. Chaque personnage est caractérisé par sa propre musique, le père de Zouzou écoute "A Vava Inouva" du chanteur kabyle Idir, Zouzou, ABBA, Carmen, les rappeurs des années 90 NTM, I am, Lunatic, Doc Gynéco, Eddy, les Guns N’Roses. Cette playlist significative complète une savoureuse panoplie de références culturelles.
L’acuité du regard porté sur notre époque renforce l’émotion de cette comédie-dramatique sociale espoirs et désespérance, innocence et prise de conscience. Faïza Guène décrypte avec la juste dose d’émotion les étapes clé d’une existence, la séparation des parents, les sorties nocturnes des adolescentes, leur candeur et leurs secrets, le premier amour, les accidents de la vie, les désillusions, la maternité. Ces personnages, parmi lesquels aucun n’est épargné par l’existence, recèlent des trésors de complexité et profondeurs. Même les plus antipathiques révèlent des fêlures touchantes.
Promesses non-tenues de la vie, désillusions de l’âge adulte après l’optimisme candide de l’adolescence, grandes joies et terribles épreuves, Faïza Guène nous parle avec beaucoup de finesse et d’émotion de la condition humaine.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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