Ailleurs : The Weight of Oneself, une oeuvre signée Elmgreen & Dragset - Lyon 5



"The Weight of Oneself", le poids de soi, est l’oeuvre de Michael Elmgreen et Ingar Dragset, un duo d’artistes reconnus pour leur esprit critique aiguisé et leur humour irrévérencieux. En propulsant des œuvres drastiquement recontextuatlisée dans l’espace d’exposition, ils cherchent à produire des formes de décalage dont surgissent un sens nouveau. L’inattendu, l’étrange le burlesque, si parfois leur travail fait naître un sentiment de malaise, d’inquiétude rampante, il provoque également le rire. Les artistes aspirent à interroger les institutions, remettre en question le corps social et culturel. Conçue pour être placée au pied du Palais de Justice, l’oeuvre "The Weight of Oneself", une commande publique inaugurée en septembre 2013, est devenue rapidement un point de repère du paysage lyonnais. Elle illustre l’intérêt d’Elmgreen & Dragset pour les interactions avec les lieux de représentation. Un éphèbe de marbre blanc, haut de 3 mètres, porte dans ses bras un homme inanimé qu’il vient de sauver de la noyade. Cette figure masculine répond aux codes classiques du nu héroïque, motif récurrent de la statuaire académique. Sous le regard malicieux d’Elmgreen et Dragset, les proportions idéales des antiques gréco-romains se parent d’un certain érotisme, cocasse en ces lieux. En observant la sculpture, il apparaît que la figure évanouie est le double parfait de son sauveteur. L’homme se porte lui-même. Il est à la fois son sauveur et son fardeau. Cette représentation parfaite questionne en réalité la responsabilité individuelle dans son propre destin et vis à vis de la société.  






Le Danois Michael Elmgreen naît en 1961 à Cophenhague. Le Norvégien Ingar Dragset en 1969 à Trondheim. Lorsqu’ils se rencontrent en 1994 à Oslo, Dragset est étudiant en théâtre. Elmgreen écrivain et poète. Frustré par l’impossibilité linguistique de diffuser largement ces textes écrits en danois, ce dernier envisage afin qu'ils sortent de la confidentialité de les mettre en scène à travers des courts-métrages expérimentaux. Ensemble, Elmgreen & Dragset trouvent leur champ d’expression plastique. Désormais, ils vivent entre Londres et Berlin où leur atelier est installé une ancienne usine de pompage d’eau du quartier de Neukölln, gardé par seulement dix assistants. 

Le tandem Elmgreen & Dragset, c’est l’histoire d’une rencontre artistique. Iconoclastes à l’humour corrosif. Ils partagent une vision commune et revendique un parcours travail en marge des grands circuits de l’art contemporain dans le but de préserver leur liberté de ton et d’expression. Leurs installations déroutantes révèlent un goût pour le détournement et la provocation. En déconstruisant les schémas établis, ils remettent en question les institutions. Ils tissent toujours plus avant une critique du système avec suffisamment de lucidité sur le pouvoir des grands collectionneurs et du marché de l’art pour rendre cette critique pertinente.

Les deux artistes s’approprient des objets de la vie quotidienne, les détournent en les privant de leur fonction première dans une démarche proche du ready-made afin d’en faire des émanations esthétisantes, des phénomènes sculpturaux minimalistes. L’introduction inopinée, inattendue dans de nouveaux espaces, qui du fait de cette intrusion deviennent insolites, génèrent des univers parallèles. Néanmoins, avec Elmgreen & Dragset, l’altération profonde du réel, aussi ludique soit-elle, ne perd jamais la dimension critique de la farce. Leur ambition se concentre sur l’éveil les consciences et pour ce faire ils n’hésitent pas à interpeller le spectateur, le passant avec toute la puissance du rire. 







Entre installation et happening, art et architecture, leurs contes modernes sarcastiques déstabilisent la réalité en redéfinissant les espaces dans lesquels ils interviennent. La fantaisie combinée à l’hybridation des genres, laisse planer le doute. Leurs œuvres chocs ne passent pas inaperçues. En 2003, "Shortcut", pour la Fondation Nicola Trussardi à Milan représente une voiture et sa caravane embouties dans le sol de la galleria Vittorio Emanuele II. En 2005, "Prada Marfa", Elmgreen & Dragset installent la réplique parfaite d’une boutique Prada en plein cœur du désert à 40km du centre d’art de Marfa. 

En 2009, pour la Biennale de Venise, le corps (factice) d’un riche collectionneur flotte dans sa piscine. En 2010, à Trafalgar Square la représentation d’un petit garçon sur un cheval à bascule fait un pied de nez à toutes ces figures équestres héroïques qui hantent les villes. En 2012, ils imaginent la version masculine de "La Petite Sirène de Copenhague". En 2013 au Victoria and Albert Museum de Londres, le tandem reconstitue l’appartement imaginaire d’un architecte désabusé en bout de course. En 2016, "Van Gogh’s ear" piscine verticale se dresse sur le parvis du Rockfeller Center, en plein New York.





Leurs récits hyper réels explorent les aspects sociaux et politiques de la vie contemporaine. Les duettistes brouillent la frontière entre le vrai et le faux pour mieux interroger les aspects de l’expérience commune, les angoisses collectives et résister aux conformismes. Elmgreen & Dragset brocardent les travers du monde tel qu’il va. Lorsqu’ils s’attaquent aux visions héroïques de la masculinité triomphante, ils nous parlent de la domination masculine et de la souffrance qu’elle engendre pour tous, femmes comme hommes. Ils s’engagent politiquement pour dénoncer l’instrumentalisation des artistes en acceptant d’être les curateurs de la Biennale d’Istanbul en 2017 et de poursuivre le travail des nombreuses personnes, artistes comme intellectuels, arrêtées à la suite du coup d’état manqué de 2016. Elmgreen & Dragset célèbrent la diversité, l’altérité. Sans se refuser de bien s’amuser.

The Weight of Oneself, une oeuvre d’Elmgreen & Dragset
Quai Romain Rolland, en face du Palais de Justice - Lyon 5



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Sites référents