Kiffe kiffe demain - Faïza Guène : Doria, 15 ans, revendique son statut de cancre. Elle n’aime pas l’école. Dans une cité de Livry-Gargan peu souriante, elle vit seule avec sa mère, modeste femme de ménage illettrée qui travaille dans un hôtel Formule 1 de Bagnolet. Le directeur, un sale type raciste, y exploite ses employées, à tel point qu’elles finissent par se révolter et se mettre en grève. Pour Doria, la télévision est la seule fenêtre vers l’extérieur. Elle est en colère. Contre le destin, mektoub, qui l’a fait pauvre et femme. Contre les hommes, en particulier son père qui picolait trop quand il était encore là. Frustré que sa femme ne lui ait pas donné d’héritier mâle, il a attendu la retraite pour repartir au Maroc et épouser une jeunesse susceptible d’enfanter un garçon, abandonnant sa famille au passage. Doria est en colère contre la société, le directeur du lycée qui ne comprend rien, Mme Burlaud la psychologue, le défilé des assistantes sociales qui ne peuvent rien pour elle. Doria veut des rêves et des promesses d’avenir.
Premier roman de Faïza Guène, paru alors que l’autrice n’avait qu’à peine 19 ans, Kiffe kiffe demain a été dès sa sortie un phénomène d’édition. Après le séisme et le succès, relire ce court texte permet d’en apprécier toute la verve, la qualité de la plume et la délicieuse galerie de personnages finement troussés. Cette chronique sociale, non autobiographique, se singularise par l’acuité du regard porté sur la banlieue. Sans angélisme ni misérabilisme, Faïza Guène décrit avec empathie et sincérité le quotidien de ces familles stigmatisées par leur simple code postal. Elle saisit leurs difficultés, les interventions des services d’aide mais aussi les moments de bonheur. Ne reculant pas devant les images crues de la pauvreté, elle parle de dignité. L’optimisme du roman n’évite pas la brutalité du racisme, l’omniprésence du chômage, le désespoir des barres de béton.
L’écriture d’une oralité rafraîchissante, ponctuée d’argot manouche, arabe, verlan se déploie dans la spontanéité d’une langue fleurie. La gouaille piquante de la jeune romancière, verve caustique et sens de la formule, se calque sur la personnalité de la narratrice exacerbant le sentiment de proximité. Plume acérée, imaginée, le style répond à un ton unique au rythme entraînant, à la vivacité saisissante.
Faïza Guène passe les clichés au grill pour mieux approcher la réalité et faire voler en éclats les stéréotypes. Avec un rare talent de conteuse, elle tisse l’histoire de chacun de ses personnages. Il y a le grand frère de cité, Hamoudi, dealer à la petite semaine qui ne parvient pas à refaire sa vie depuis qu’il est sorti de prison, et pour lequel Doria a le béguin sans se l’avouer. Il y a Nabil le fils d’une connaissance de la famille, un ambitieux qui voudrait passer dans un jeu à la télé et qui lui donne des cours particuliers imposés par sa mère. A la supérette du coin, Aziz l’épicier leur fait crédit quand les fins de mois sont trop difficiles. Et puis, dans la cité se répand la rumeur de la jeune voisine enfermée chez elle par un père violent qui s’est enfui pour devenir actrice à la Comédie française…
Si le constat douloureux d’une société compartimentée n’échappe pas à la romancière, son enthousiasme, son insolence, confèrent à ce premier ouvrage une saveur prometteuse.
Kiffe kiffe demain - Faïza Guène - Editions Hachette Littératures et Fayard - Edition de poche Le Livre de Poche
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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