A l’occasion d’un règlement de compte entre gangs rivaux à Wuhan, Zhou Zenong, chef de clan, tue par hasard deux policiers. Dès lors, sa tête est mise à prix par les autorités. Une chasse à l’homme sans pitié se déchaîne. Poursuivi par les forces de l’ordre, les mafieux de la bande rivale et même de son propre clan, Zhou Zenong recherche sa femme afin qu’elle puisse le dénoncer ou le tuer et ainsi toucher la récompense. Dans sa fuite, il croise le chemin de Liu Aiai, une « baigneuse », vénus mercenaire qui vend ses charmes sur les rives du lac aux oies sauvages. Elle voit dans cet homme aux abois l’occasion de faire basculer son destin et de recouvrer la liberté.
Thriller prenant, polar contemporain à la trame initiale ténue, Le lac aux oies sauvages d’une beauté spectaculaire célèbre la forme. Elle devient alors le fond tandis que l’intrigue glisse au second plan. Le réalisateur chinois Diao Yinan, Ours d’or à Berlin en 2014 pour le très remarqué Black Coal, s’approprie les archétypes, des films noirs américains des années 1940, Orson Welles, l’expressionisme allemand d’un Fritz Lang, la plasticité des films hongkongais de Wong Kar-waï. Le cinéaste s’empare des codes qu’il stylise à l’extrême, condensant une intensité virtuose.
Le long-métrage tourné de nuit, souvent sous une pluie battante, révèle entre ténèbres et lumières artificielles un monde interlope éclairé aux néons. Sous l’œil de Dioa Yinan, l’atmosphère crépusculaire de ces territoires irréels et poisseux, l’étrangeté des espaces urbains exprime un sentiment de désolation et de délabrement moral. Flics et membres de la pègre indifférenciés dans leurs méthodes ne forment plus qu’une même horde de criminels. En creux se dessine le portrait cruel d’une Chine moderne, fantasmagorique, gangrénée par la violence et la corruption, peuplée de paumés, de voyous en fuite, de prostituées et de policiers véreux. En sous-texte, le film semble évoquer les dérives du monde contemporain
L’inquiétant univers des bas-fonds, la ville sordide, trouve un pendant onirique singulier dans le paysage lacustre où les prostituées officient. La sophistication, la grande beauté formelle des images est portée par les trouvailles visuelles. Le récit, narration éclatée et flash-backs, est éclipsé cette splendeur qui illustre l’extrême maîtrise du réalisateur. La chasse à l’homme tourne au cauchemar nébuleux.
Le cinéaste succombe au vertige de la transgression jusqu’à fétichiser la violence dans des scènes de poursuites haletantes, des combats chorégraphiés en séquences hallucinatoires. La mise en scène précise vient souligner le caractère mortifère de ce film vénéneux. La rareté des dialogues libère le corps en mouvement. Au cœur de cette redoutable mécanique, deux êtres en fuite la prostituée et le voyou repenti, mutique. Hu Ge en impavide gangster mélancolique et Gwei Lun Mei dans le rôle trouble d’une insaisissable femme fatale sont impeccables. Une œuvre électrisante, d’une beauté à couper le souffle.
Le lac aux oies sauvages, de Diao Yinan
Avec Hu Ge, Gwei Lun Mei, Liao Fan, Wan Qian, Qi Dao, Huang Jue, Zeng Meihuizi, Zhang Yicong
Sortie le 25 décembre 2019
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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