Lundi Librairie : Paris de ma jeunesse - Pierre Le-Tan



Paris de ma jeunesse - Pierre Le-Tan : Peintre, dessinateur, illustrateur, écrivain, collectionneur éclairé disparu le 17 septembre dernier, Pierre Le-Tan a composé un recueil mélancolique de courts comme autant de contes urbains. Cette promenade à travers la ville convoque une époque regrettée, Paris au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale qui panse ses blessures. Et tandis que les souvenirs se diluent dans la modernité jusqu’à disparaître, l’insouciance de la prime jeunesse fait place à la gravité gracieuse de la maturité. Pierre Le-Tan raconte les rues, ses quartiers préférés, les lieux où affleurent la mémoire, cartographie intime, géographie sensible. Les dessins, hachures en noir et blanc, portait d’une ville désertée, à peine une silhouette qui disparaît au coin d’une rue, un chat errant, viennent rehausser la poésie du texte. Place Breteuil, avenue Matignon, Quais de Seine, avenue Paul Doumer, rue de l’Université, boulevard Gouvion Saint Cyr, rue des Colonels Renard, rue Tournon, rue Jussieu, Square de l’Alboni, rue la Pérouse, il saisit des bribes d’un temps révolu, un passé pas si lointain dont les ombres flottent encore dans les recoins du souvenir. 

Une première version de Paris de ma jeunesse paraissait il y a trente ans, en 1988, déjà préfacée par Patrick Modiano. Longue amitié, deux âmes qui se sont reconnues, Pierre Le Tan a illustré de nombreuses couvertures des romans de Modiano. Dénicheurs de curiosités, ils partagent le goût des lieux interlopes. La première mouture était composée « de souvenirs véridiques et d’anecdotes inventées » les dernières inspirées par les histoires racontées, entendues. La nouvelle édition a été enrichie d’une douzaine de textes, dont les histoires puisées dans des notes biographiques sont toutes exactes cette fois.

Pierre Le-Tan diffuse par ses mots la nostalgie du flâneur. Ironie tendre et fausse candeur, timidité et poids des ans, la fantaisie du dandy révèle son goût pour les énigmes. Il contemple les fantômes de la jeunesse en fuite, le rêve d’une vie passée. Il se laisse allée jusqu’à la licence poétique pour redonner chair à une ville qui n’existe plus. Les angoisses diluées dans les limbes oniriques, l’évocation, entre art du conteur et charme du dessin, mêle la drôlerie à la mélancolie.

Au fil de ses pérégrinations, Pierre Le-Tan croise des êtres merveilleux, émouvants, fêlés. Il dit les rencontres de hasard, les amitiés, la mémoire des anonymes, des célébrités. Princes en exil, empereurs déchus, demi-mondaines, vénus mercenaires, milliardaires et play-boys, il se souvient de cet univers bourgeois et artistique. Il croise le couturier Jacques Fath, l’actrice Martin Carol, l’héritière Barbara Hutton, le roi Farouk, Yul Brynner, l’empereur Bao Daï et la diaspora annamite…

Beaux quartiers, résidences cossues, charme discret de la bourgeoisie, Pierre Le-Tan laisse son imagination flotter entre les époques. Il capte par son travail de mémorialiste l’incertitude des destins des sentiments, flou des existences, le tragique, les secrets, les apparences, précision et acuité du regard, finesse, humour délicat, mise à distance élégante. Un recueil romanesque délicieux.

Paris de ma jeunesse - Pierre Le-Tan - Editions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.