Expo : Carte Blanche à Min Jung-yeon au Musée Guimet - Jusqu'au 17 février 2020



Le Musée national des arts asiatiques Guimet a confié une nouvelle carte blanche à l’artiste coréenne Min Jung-yeon. Recréant un environnement intime, la plasticienne investit la rotonde du quatrième avec une installation immersive imaginée pour l’occasion. Des dessins en très grand format déploient sur les murs courbes un paysage étrange qui se reflète à l’infini dans des miroirs placés de sorte à troubler la perception des perspectives réelles, des profondeurs. Les vastes pans de papier assemblés composent un bois mystérieux dont les contours démultipliés dépassent les frontières même de l’espace physique. A perte de vue, hors du temps, les éléments s’entrelacent dans la finesse des lignes tracées au crayon et à l’encre de Chine, rehaussées de touches d’aquarelle et d’acrylique. Les silhouettes des troncs de bouleaux découpés dans le papier, fines bandes de papier suspendues, frémissent au passage des visiteurs. Lovée parmi les arbres, une créature à plumes se révèle trop imposante pour être contemplée dans son ensemble. Ici l’extrême douceur laisse affleurer le sentiment vague et menaçant de la violence possible.








Née en 1979 à Gwangju en Corée du Sud, Min Jung-yeon a passé une grande partie de son enfance à la campagne où son père lui a transmis son émerveillement face à la nature, créant un lien puissant indissoluble. Diplomée de l’Université Hongik de Séoul, elle a poursuivi ses études aux Beaux-Arts de Paris. Depuis plus de dix ans, elle vit et travaille en France. 

Un dessin représentant la forêt où Min Jung-yeon aimait jouer enfant, reproduction onirique troublée par le motif industriel de tuyaux de cuivre, est à l’origine de l’installation composée pour le musée Guimet. Troublée et attirée par cet univers en deux dimensions, elle éprouve le puissant désir de pénétrer ce monde imaginaire empruntant à sa mémoire. 

La forêt, refuge de l’enfance, des solitaires, est aussi le lieu des dangers cachés. Elle est le cadre de l’agression qu’a subi l’artiste, de la fin de l’innocence. Les tuyaux et les miroirs mats symbolisent cette rupture, la mémoire fracturée par le trauma. A l’histoire personnelle douloureuse, travail cathartique, désir de réconciliation avec soi-même, s’ajoute en parallèle une dimension géopolitique, avec l’idée d’une réconciliation possible entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, pays scindé en deux états depuis 1948.

Si le message mémoriel est prégnant, l’artiste puise son inspiration à la fois dans des textes philosophiques et scientifiques. Elle s’est notamment penchée sur les recherches du physicien Carlo Rovelli sur les espaces vides, la matière noire. 









L’oeuvre présentée dans la rotonde superpose les formes dans un élan fluide. Les éléments figuratifs se diluent par endroit jusqu’à atteindre une forme d’abstraction tandis que les jeux de miroirs démultiplient le dessin, brouillent les repères jusqu’à troubler la perception de la réalité. Les miroirs reflètent et contiennent à la fois. En déambulant dans l’installation, le visiteur intègre les univers parallèles de l’oeuvre et accède à la fascination du mouvement permanent.

La créature à plumes, animal mythologique non-identifié, a été inspirée à l’artiste par une légende chinoise. Un poisson gigantesque se transforme en oiseau pour attendre le ciel. Il est alors si lourd qu’il doit attendre que se lève une tempête afin de prendre son premier envol. Le motif de la plume convoque l’idée de la migration, de la mémoire. Les chamanes coréens utilisent des plumes durant les rites funéraires traditionnels. 

Les éléments disparates, matériaux variés réassemblés embrassent la pensée de Lao-Tseu au sujet des contraires complémentaires, nécessaires matrices de la nouveauté. Les pleins et les vides, les courbes organiques et les angles des tuyaux industriels, le terrestre et le céleste, la destruction et la création, Min Jung-yeon propose de recomposer de nouvelles harmonies inédites selon les préceptes fondateurs du taoïsme. Embrassant un propos métaphorique, elle interroge la complexité du monde jusqu’au vertige.

Carte blanche à Min Jung-yeon 
Jusqu’au 17 février 2019

6 place d’Iéna - Paris 16



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.