Cinéma : Les Misérables, de Ladj Ly - Avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Zonga



Le soir de la victoire des Bleus au Mondial de football, tous se retrouvent dans les rues pour célébrer cette équipe. Au Trocadéro, Issa un jeune de la cité des Bosquets à Montfermeil fête l’évènement avec ses potes. Quand il se retrouve au commissariat du quartier, son père refuse de venir le chercher. Ce dernier se sent impuissant face aux bêtises du gamin qui n'arrête plus. Stéphane, un bleu tout juste muté de Cherbourg, rejoint les unités de la brigade anti-criminalité de Montfermeil. Il est placé sous l’autorité de Chris, un chef de groupe fort en gueule. Ce dernier l’entraîne dans une première patrouille en voiture avec Gwada, un taiseux qui a grandi dans une cité du coin. Trafic de drogue, prostitution, influence des grands frères, prosélytisme des barbus, échec des politiques de la ville, ils font un état des lieux. Lorsqu’ils tombent sur une altercation tendue entre les habitants du quartier, les trois policiers interviennent. Quelqu’un a volé un lionceau dans un cirque tenu par des Tziganes venus jusqu'au quartier pour s’expliquer. Le gamin responsable du larcin est grièvement blessé lors de l’interpellation. Chris voudrait étouffer l’affaire mais la bavure a été filmée par un drone. La colère gronde.







Le réalisateur Ladj Ly qui a grandi dans la cité des Bosquets à Montfermeil nous propose une immersion hyperréaliste dans la France des quartiers. Vingt-quatre ans après La Haine de Mathieu Kassovitz, sorti en 1995, Les Misérables a été la révélation du festival de Cannes où le film a reçu le Prix du Jury. A travers cette oeuvre sans concession, inspirée d’un fait réel, le cinéaste cartographie les banlieues d’aujourd’hui, la police de terrain, les grands frères, les imans, les chefs de cité, les voyous, les enfants. Il donne à voir ce microcosme en ébullition où une jeunesse en déshérence, en manque de repères se cherche des marques identitaires, entre colère et peur. L’autogestion précaire et le désengagement des pouvoirs publics, la discrimination et la montée en puissance des groupes radicaux ont transformé les quartiers dits sensibles en véritable poudrière.

Réalisé par le collectif Kourtrajmé et filmé par Ladj Ly, le documentaire 365 jours à Clichy-Montfermeil consacré aux émeutes de 2005 dans les banlieues françaises, a révélé le réalisateur. Auteur de nombreux documentaires dont A voix haute : la force de la parole, réalisé avec Stéphane de Freitas, et nommé pour le César du meilleur documentaire, Ladj Ly a filmé également des cop watches lors d'arrestations violentes. Ce sont ces images ont inspiré son premier court-métrage, Les Misérables, dont le film est le prolongement. 




Avec Alexis Manenti, co-scénariste qui interprète également Chris, Ladj Ly signe un récit tendu, haletant, une oeuvre de fiction où le réalisme des situations se nourrit de leur propre expérience. Ils font le constat d’une société clivée au bord de l’implosion. Le sujet explosif des cités est approché avec nuance et mesure, sans faire l’impasse sur l’ambiguïté et les contradictions des protagonistes. L’approche documentaire traduit avec intelligence, l’impuissance face aux tensions sociales et la brutalité qui en découle. La caméra à l’épaule, au plus près des gens, permet de percevoir le sentiment d’urgence, le terrible crescendo des violences jusqu’à la phase d’embrasement finale. Message politique puissant, finesse d’analyse, profonde humanité, Les Misérables témoigne d’une époque. Percutant, juste et engagé.

Les Misérables
Réalisé par Ladj Ly
Avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Zonga, Issa Perica, Al-Hassan Ly, Steve Tientcheu, Almany Kanoute, Nizar Ben Fatma, Jeanne Balibar
Sortie le 20 novembre 2019



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.