Paris : L'Obélisque de Louxor place de la Concorde, plus vieux monument de Paris, souvenirs d'un incroyable périple depuis l'Egypte - VIIIème



L’Obélisque de Louxor, plus vieux monument de Paris, domine de ses trente-trois siècles élégants la place de la Concorde. Dressé au coeur de la Capitale le 25 octobre 1836, classé au titre des monuments historiques en 1936, le périple rocambolesque qui l’a conduit en France depuis l’Egypte, sa terre natale, alimente encore la légende. Son histoire débute à Thèbes en 1250 avant JC. L’Obélisque en granit rose d’Assouan est dressé avec son double devant le temple de Louxor construit sous Aménophis III. Hommage au dieu Amon, le monolithe, 229 tonnes, et 23 mètres de hauteur, symbolise un rayon de soleil. Au centre de la place de la Concorde, il marque de son ombre les déplacements du soleil, gnomon d’un cadran solaire identifié au sol par des incrustations de métal.









Sous la Restauration (1814-1830), Louis XVIII (1755-1824) entame des négociations en vue d'acquérir l'un des obélisques de Thoutmosis III appelés "aiguilles de Cléopâtre". La disparition du souverain marque la fin de ses tractations. En 1828, le wali Méhmet Ali, vice-roi d’Egypte, propose d’offrir ces deux obélisques d’Alexandrie l’un à la France le second à l’Angleterre. Charles X (1757-1836) roi de France de 1824 à 1830, se laisse convaincre par Jean-François Champollion (1790-1832) de porter son choix sur ceux de Louxor plus prestigieux, mieux conservés. Considéré comme le père de l’égyptologie, déchiffreur des hiéroglyphes en 1822, Champollion est tombé en admiration devant les deux monolithes lors de son unique mission scientifique en Egypte entre 1828 et 1829. Du reste, il ne veut pas que la France se fasse doubler par les Anglais sur le plan des acquisitions majeures. Il propose la somme de 300 000 francs afin d’assurer le transport.

Geste d’amitié ou cadeau forcé sur l’insistance du consul général de France en Egypte, le gouvernement égyptien valide le « don » par l'intermédiaire de son ministre Boghoz Joussouf. Officiellement, il s’agit de remercier l’aide des ingénieurs français dans la modernisation du pays et de renforcer les liens entre l’Egypte et l’Europe. Le baron Taylor mandaté par Charles X arrive à Alexandrie en 1830 pour négocier et conclure la transaction. La somme de 300 000 francs mentionnée par Jean-François Champollion est finalement versée. Il est alors chargé par le roi de déterminer quel obélisque rejoindra en premier la France. Champollion choisit "le plus occidental, celui de droite en entrant dans le palais. Le pyramidion a un peu souffert, il est vrai, mais le corps entier de cet obélisque est intact, et d'une admirable conservation, tandis que l'obélisque de gauche, comme je m'en suis convaincu par des fouilles, a éprouvé une grande fracture vers la base".












Au lendemain de la révolution de juillet 1830, malgré les bouleversements politiques, le plus petit des deux obélisques de Louxor est destiné à rejoindre Paris. L’ingénieur Apollinaire Lebas (1797-1873) dirige les opérations d’un périple des plus hasardeux qui durera 7 ans et s’étendra sur plus de 9 000 km. Un bateau à fond plat capable de supporter un chargement de cette envergure et de ce poids, Le Luxor, un trois-mâts, est construit dans les arsenaux de Toulon. Selon les paramètres techniques particuliers, il peut naviguer sur le Nil et la Seine ainsi qu’en haute mer à travers la Méditerranée et l’Atlantique. Il doit aussi être en mesure de passer sous les ponts de Paris. Commandée par Raymond de Verninac Saint-Maur, la barge est lancée en avril 1831. 

Les plans pour l'abattage de l’obélisque sont établis par Armand Florimond Mimerel, ingénieur de la Marine. Après avoir rasé une quarantaine de maisons et creusé une sorte de canal afin de rapprocher le bateau le plus près possible, un chemin est tracé jusqu’au Nil. L’Obélisque déposé à Thèbes en octobre 1831 est traîné sur 400 mètres jusqu’au fleuve. Il est difficilement embarqué sur le bateau dont l’avant doit être démonté pour permettre le chargement avant d’être remonté. Le chargement est prêt dès novembre mais l’équipage doit attendre la crue jusqu’en août 1832 pour remonter du temple de Louxor à l’embouchure du Nil située à 700km en amont.

A Alexandrie, une corvette à voile et à vapeur, le Sphinx prend le relai pour remorquer le Luxor en haute mer. La cargaison quitte l’Egypte en avril 1833, traverse la Méditerranée et fait une première escale à Rhodes, puis Corfou. Toulon, est atteint dans la nuit du 10 au 11 mai 1833 après 40 jours de navigation. Ce sera ensuit Gibraltar et la Corogne. Le Luxor arrive enfin à Cherbourg passe par Le Havre et Rouen. Il remonte la Seine halé par des chevaux jusqu’au pont de la Concorde auquel il accède le 23 décembre 1833. L’ingénieur Lebas chargé du convoyage conclut son périple ainsi : "Rapportera qui voudra le deuxième, mais ce ne sera pas moi."


Entrée Temple d'Amon à Louxor avec ses deux obélisques
 (RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Les frères Chuzeville)

Vue de l'abattage de l'obélisque dans Campagne du Luxor (1835)
Estampe, 1831, Léon de Joannis © A. Fux Musée national de la Marine

Place Louis XV, simulacre de l'Obélisque 1833
Crédit Bibliothèque Nationale de France

Erection de l'Obélisque de Louxor 25 octobre 1836
Détails d'une aquarelle par Cayrac
Dépôt du Musée du Louvre - Musée national de la Marine

Érection de l'obélisque de Louxor sur la place de la Concorde
le 25 octobre 1836, par François Dubois (1790-1871)

L’Obélisque n’est cependant érigé sur la place de la Concorde que trois ans plus tard. Un long débat national sur le lieu où placer ce monument est doublé par un scandale puritain. Louis-Philippe trouve obscène les dessins du socle, représentant des babouins debout sur leurs pattes arrière et levant les bras pour honorer le soleil, anatomie mâle fièrement exposée propre à choquer les âmes prudes de l’époque. Une nouvelle base moins suggestive est commandée tandis que celle d’origine rejoint les collections du Louvre

Le piédestal se compose de cinq blocs de granit rose issus des carrières de l'Aber-Ildut, en Bretagne. Sur deux des faces sont représentées les longues tribulations de l’Obélisque depuis l’Egypte, abattage, transport et le remontage. Les deux autres portent des inscriptions qui rappellent le patronage du projet par Louis Philippe et font allusion à l'engagement de la France en Egypte depuis Napoléon Ier.

Le 25 octobre 1836, l’Obélisque est enfin érigé sur la place de la Concorde. Fête populaire et événement mondain, la prouesse technique orchestrée par Apollinaire Lebas se déroule sous l’œil curieux de 200 000 personnes. Pour dresser le monolithe de 230 tonnes en position verticale, un appareil de levage exceptionnel a été construit. Il compte dix cabestans actionnés par trois cents cinquante artilleurs et marins. Lebas dirige la manœuvre dans l’ombre du monolithe. Si l’érection faillit, il ne doit pas survivre. Question d’honneur. Apprécions un instant le symbole... En milieu d’après-midi, l’Obélisque de Louxor trouve finalement sa position verticale définitive.








En 1845, Louis-Philippe offre à l’Egypte, en retour des deux obélisques, une horloge en cuivre qui orne aujourd'hui la citadelle du Caire. Endommagée lors de la livraison, elle n’a jamais fonctionné. En raison des immenses difficultés rencontrées à l’occasion du voyage du monolithe et du coût financier astronomique, 1 million de francs de l’époque, le second obélisque ne sera jamais déplacé. En 1981, le président François Mitterrand le rend symboliquement et officiellement à l’Egypte. 

Sous le pyramidion, le pharaon Ramsès II présente sur les quatre faces des offrandes au soleil, Amon Ré. Chacune est gravé de la titulature royale de Ramsès II, ces noms et titres royaux, nombreux cartouches. Sur la colonne centrale de la face Nord, se trouve une prière dédiée au dieu Horus :  "L'Horus, Taureau puissant aimé de Maât. Les Deux Maîtresses, protecteur de l'Égypte, victorieux des pays étrangers. L'Horus d'or, riche d'années, grand de victoires. Le Roi de Haute et Basse Égypte, Ouser Maât Rê Setepenrê, souverain des souverains, qu'a engendré Atoum, d'une seule chair avec lui, pour créer sa royauté sur terre éternellement, pour doter le domaine d'Amon de vivres. Il l'a fait pour lui le fils de Rê Ramsès Méryimen, puisse-t-il vivre éternellement."

En mai 1998, à l'initiative de l'égyptologue Christiane Desroches Noblecourt et après de vastes tergiversations, le sommet de l’obélisque, abimé lors des longs mois en mer est doté d’un pyramidion, une coiffe étincelante de 3,60 m de haut, en bronze recouvert de feuilles d'or, dont la teinte se rapproche de celle de l'électrum employé dans l'ancienne Égypte. Il remplace une coiffe sommitale ultérieure volée lors d'invasions dans la vallée du Nil au VIème siècle.

Obélisque de la Concorde
Place de la Concorde - Paris 8



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse - Hachette
Le guide du promeneur 8è arrondissement - Philippe Sorel - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme

Sites référents