Harlan Thrombey, richissime auteur de romans policier à succès vient de célébrer dans son somptueux manoir de la Nouvelle-Angleterre, ses quatre-vingt-cinq ans, entouré de tous les membres de sa famille. Au lendemain de la fête, il est retrouvé mort dans sa chambre par sa dévouée infirmière équatorienne, Marta, une blessure à la gorge et un couteau à la main. Un suicide est évoqué. Mais les deux enquêteurs de la police locale et Benoît Blanc, un détective privé engagé par un mystérieux commanditaire anonyme, envisagent plus sérieusement un meurtre. Au cours de l’interrogatoire, les héritiers possibles, enfants, petits-enfants, belle-famille, fébriles de découvrir le testament, révèlent tous une bonne raison de faire la peau au patriarche.
Rescapé de la saga Star Wars avec Les Derniers Jedis, Rian Johnson s’amuse ici avec les codes du cinéma de genre pour réaliser un polar façon Agatha Christie. Sur le fil d’une intrigue à énigmes, histoire de meurtre mystérieux, perpétré sous les apparences d’un étrange suicide, un détective excentrique, un peu ridicule qu’il est difficile de prendre au sérieux, dans la lignée de Columbo ou d’Hercule Poirot, se propose d’élucider l’affaire. Parmi les suspects pittoresques, sur trois générations, chacun a un motif de zigouiller la victime. Avidité financière, rancune, aigreurs diverses.
La narration déployée en analepse revient en saynètes vérité sur la soirée d’anniversaire dans un décor de Cluedo des plus délicieux. Les premiers rebondissements font mouches, les premiers twists embarquent le spectateur sur des fausses pistes tandis que les mensonges se multiplient et les secrets se révèlent. Dans un ingénieux mouvement qui évite l’écueil du trop attendu, le cinéaste fait alors basculer le récit du whodunit à la Christie vers le thriller à suspense hitchcockien, teinté de Columbo. Mécanique redoutable, à laquelle les dialogues caustiques et un humour noir donnent beaucoup de piquant. La variation des points de vue propose des angles inhabituels qui permettent au réalisateur de disséminer les indices et les éclaircissements avec subtilité.
Replaçant l’intrigue dans une forme d’actualité pour mieux raconter l’époque, Rian Johnson nous livre une satire de l’Amérique de Trump. A travers ce portrait de famille au bord de l’implosion, il file la métaphore politique. Le cinéaste examine avec acuité la société contemporaine par le prisme de l’énigme policière burlesque. L’arrogance des élites privilégiées, la situation des migrants, chaque personnage incarne un archétype du système des classes sociales.
Le casting de luxe s’en donne à cœur joie dans le registre de la comédie et la partition loufoque. L’épatant Daniel Craig en détective lunaire se ferait presque voler la vedette par Ana de Armas qui incarne la jeune et ingénieuse infirmière. Chris Evans, Jamie Lee Curtis, Michael Shannon, Don Johnson, Toni Collette, savoureuse brochette d’hypocrites, avides, abjects, acariâtres composent une famille dysfonctionnelle cocasse. Difficile de ne pas succomber à l’irrésistible énergie de ce film sophistiqué, aussi réjouissant qu’haletant.
A couteaux tirés, de Rian Johnson
Avec Daniel Craig, Chris Evans, Ana de Armas, Jamie Lee Curtis, Michael Shannon, Don Johnson, Toni Collette, Lakeith Stanfield, Christopher Plummer
Sortie le 27 novembre 2019
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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