Lundi Librairie : Soif - Amélie Nothomb



Soif - Amélie Nothomb : Dans sa geôle à la suite du procès expéditif orchestré par Ponce Pilate, Jésus se souvient de son existence dans la terrible solitude de la nuit précédant la Passion. Il y a les miracles qu’il se remémore avec plaisir, ceux qu’ils regrettent, les noces de Cana, le lac de Tibériade. Il y a aussi la mémoire vive des ingrats, guéris, sauvés, qui viennent de témoigner contre lui mais à qui il ne reproche rien. En sage, Jésus porte un regard lucide sur cette vie, l’enseignement prodigué mais aussi sur les hommes en général. Et au matin vient le supplice, les quatorze stations du chemin de croix jusqu’au mont Golgotha, la douleur immense. Le temps de la Passion réveille les souvenirs, les rencontres marquantes. Et puis Jésus pense aux siens, à sa mère Marie, à Marie-Madeleine, aux apôtres ceux qui l’ont trahi, les fidèles. Porté par l’expérience de la soif, symptôme ultime de l’incarnation, supplice parmi les autres qui se fait point d’ancrage de l’esprit, et permet de supporter les autres tourments, il va vers la crucifixion, la mort et la résurrection. 

Roman impossible, récit à la première personne d’un évangile apocryphe, Soif le nouveau roman d’Amélie Nothomb se démarque par la singulière modernité de son propos dans une réinvention des Ecritures aux accents philosophiques. La romancière qui a pour habitude de détourner les contes et les légendes, relève l’ambitieux défi d’un thème inspirant les arts depuis 2000 ans. Pour retranscrire la Passion du Christ, elle choisit la perspective intime du monologue intérieur. La plongée dans les pensées de Jésus, les états d’âme d’un être entraîné vers une destinée déjà tracée, ouvre une méditation plus large sur l’incarnation et interroge l’idée du corps.

Amélie Nothomb entretient un rapport particulier avec Jésus. Héros mythique de son enfance, le fils de Dieu est pour elle une figure fondatrice à laquelle elle s’identifie, un modèle avec lequel elle entretient une connivence particulière. Elle imagine, avec une liberté de ton savoureuse, un Jésus terriblement humain, sensible aux plaisirs simples de l’existence, le sommeil, le vin, à la beauté des femmes, amoureux de Marie-Madeleine avec qui il aurait souhaité fonder une famille s’il n’avait été soumis à cette destinée voulue par son Père. 

La présence sensuelle du corps du Christ apporte une dimension concrète au récit. S’il est proche des autres c’est grâce à cette enveloppe de chair et de sang. Si malgré tout, il demeure sous la plume de l’autrice, le fils envoyé sur terre pour mourir et racheter les péchés de l’Humanité, Jésus selon Amélie est très loin de l’image d’ascète sacrificiel. Il doute, il souffre, il a peur. Il a soif. « Pour éprouver la soif, il faut être vivant, j'ai vécu si fort que je suis mort assoiffé. C'est peut-être cela, la vie éternelle […]. Il suffit d'avoir crevé de soif un moment pour accéder à ce statut. Et l'instant ineffable où l'assoiffé porte à ses lèvres un gobelet d'eau, c'est Dieu. »

Le narrateur a sa propre histoire, différente de celle inscrite dans le Nouveau Testament. Ce personnage humain incarné dont l’ascendance divine n’est jamais remise en question, semble parfois en pleine crise de foi. En révolte contre la crucifixion, procédé barbare, la romancière critique la glorification du martyre et le mépris du corps professé par le christianisme. Et c’est la part d’humanité qu’Amélie Nothomb questionne à travers Dieu fait homme.

Soif - Amélie Nothomb - Editions Albin Michel



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.