Lundi Librairie : Tuer le père - Amélie Nothomb



Tuer le père - Amélie Nothomb : A Reno, Nevada, Joe Whip est un gamin solitaire qui passe ses journées à exercer ses dons de prestidigitation devant un miroir. Sa mère, Cassandra, beauté fanée, croqueuse d’hommes sur le retour, n’a jamais voulu lui dire qui était son père. A moins qu’elle ne l’ait jamais vraiment su elle-même. Si elle collectionne les amants de passage, elle a un mal fou à les retenir. Et le jour où un prétendant semble décidé à rester, elle choisit de sacrifier le fiston et le met à la porte avec la promesse de lui verser chaque mois une petite pension. Joe, quatorze ans, se retrouve livré à lui-même. Son extrême dextérité naturelle et son émouvante jeunesse lui valent quelques succès dans les bars où il pratique des tours de magie dans l’espoir de récolter suffisamment de pourboires pour payer sa chambre d’hôtel. Un soir, un inconnu lui conseille d’aller trouver le plus grand magicien du monde afin de recevoir un enseignement digne de son don. Joe fait la connaissance du célèbre Norman Terence et de sa compagne, Christina, jongleuse de feu. Très vite, il s’installe chez eux, obsédé par l’idée d’apprendre avec le meilleur. L’adolescent va trouver en Norman un père de substitution, un guide spirituel et un maître en magie. Mais si ce dernier est pure honnêteté, le garçon est irrémédiablement attiré par la triche.  

Ce très court roman, au titre provocateur, hautement freudien, ausculte les relations père-fils sur fond de grands espaces américains, les sublimes paysages désertiques du Nevada. Amélie Nothomb joue avec l’idée du parricide, thème récurrent de la littérature, offrant au complexe d’Œdipe une version très personnelle et un drôle de triangle amoureux. La rébellion du fils vis-à-vis de l’héritage paternel consiste à trahir son éthique, sa morale.

La romancière distille ici une subtile critique de la société des illusions, des apparences, de notre monde où les tricheurs sont valorisés, les faussaires célébrés. Grande manipulation et obsession de la performance, art de la falsification, elle souligne les ambiguïtés cruelles de Joe, le fils choisi, le porteur de fierté et d’autant de désillusions. Pour Amélie Nothomb, tuer le père consiste à se libérer des attentes qui pèsent sur les épaules des enfants, des projections des parents, surtout quand le paternel en question est un parangon de vertu comme le personnage de Norman. Ne serait-il pas un peu horripilant à force d'être si parfait ?

Texte étonnant, dont la fin inattendue est particulièrement savoureuse, Tuer le père révèle un sens aigu du récit, de la narration. Fasciné par les êtres à la marge dont elle peuple ses écrits, Amélie Nothomb s’attache à l’étude des caractères et des talents. Art du dialogue et humour noir, l’écriture toujours aussi plaisante puise dans l’épure, la concision une paradoxale puissance évocatrice. Des plus dépaysantes, l’incursion mouvementée au Burning Man, festival artistique libertaire en plein désert, musique, drogue et utopie, réserve de belles pages sur le corps et la danse, la pratique artistique. Délicieux !

Tuer le père - Amélie Nothomb - Editions Albin Michel - Edition de poche Le Livre de Poche



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.