Un soir à la sortie du théâtre, la grande actrice Myrtle Gordon croise Nancy, une jeune fille de dix-sept ans qui lui voue une admiration sans borne. Elle est venue lui demander un autographe. Elle lui rappelle ses débuts. Mais juste après cette rencontre, Nancy est percutée par une voiture et meurt. Bouleversée, Myrtle ne peut se détacher de son souvenir. Alors que les répétitions de la nouvelle pièce dans laquelle elle doit jouer se poursuivent, elle peine à trouver un sens à son personnage. Submergée par les angoisses, la comédienne interroge ses choix, celui de privilégier sa carrière à sa vie personnelle, de ne pas avoir eu d’enfants. Et puis il y a la peur terrible du temps qui passe, celle de ne plus être désirée. Quand elle boit, le fantôme de Nancy lui rend visite. Myrtle dérive. Son partenaire de jeu, comédien sérieux mais complexé vis à vis de son statut de star, fait ce qu’il peut pour l’aider. Le jeune metteur en scène, exigeant, fasciné, la porte à bout de bras mais n’hésite pas à la bousculer afin d’obtenir plus d’elle.
Adaptation pour le théâtre du scénario d’Opening Night, film de John Cassavetes, la pièce mise en scène par Cyril Teste aux Bouffes du Nord offre un portrait fracturé, difracté et recomposé sous nos yeux d’une comédienne en quête de son rôle et de soi-même. Il y est question du métier singulier d’acteur, de l’incarnation et de la nécessaire distance, des sentiments simulés de la fiction, de l’intensité et de l’authenticité, de l’art et la vie qui finissent par ne faire plus qu’un.
Dans un déplacement subtil des enjeux créatifs, l’écriture théâtrale est soutenue par le dispositif cinématographique en temps réel et à vue qui ont fait la réputation du metteur en scène. Les comédiens sont filmés en plan séquence en scène et en coulisses. La vidéo est projetée en direct. La réalité sur le plateau croise celle sur l’écran. Bouleversant, les codes de la représentation théâtrale, le procédé formel permet de démultiplier les espaces, de raconter le hors-champ. Les images orchestrées en dehors du plateau offre de sonder au plus près la démarche artistique. Cyril Teste retraduit par ce procédé la liberté de ton et le côté performance du film. Faisant le choix d’une épure stylisée, il recentre la narration sur trois personnages la star, son partenaire de jeu, le metteur en scène. Les scènes s’enchaînent sur le fil mystérieux d’un récit parcellaire peu à peu reconstitué.
Aux Bouffes du Nord, du fait de la disposition de la salle, la grande proximité des comédiens avec les spectateurs renforce le sentiment de trouble, de faire partie intégrante de la représentation. Les scènes rejouées, filmées à nouveau amplifient l’instant, l’immédiateté tandis que l’écran procède de la distanciation. Le jeu en coulisses, celui sur scène et les images projetées en noir et blanc multiplient les dimensions, ouvrent des territoires de création onirique dans une mise en abyme vertigineuse.
Jouer l’ivresse, danser, se jeter au sol, Isabelle Adjani se donne toute entière avec générosité dans ce rôle de diva neurasthénique. Habitée, précise et nuancée, elle incarne intensément une Myrtle au bord du précipice mais aussi une comédienne en quête d’une forme de vérité dramatique. Silences, pleurs, emportements, reprises de contrôle, sérieux puis comédie, elle passe, virtuose, d’un registre à l’autre. Elle offre à la caméra son beau visage en gros plan, parcouru par les émotions, frémissements, affleurements sensibles, incandescence. Confiance absolue en son metteur en scène, engagement total.
A ses côtés, touchant, sincère, Frédéric Pierrot apporte une belle humanité à son personnage de comédien fasciné par les étoiles tandis que Morgan Lloyd Sicard interprète avec fougue son rôle de jeune metteur en scène pas dénué d’un certain cynisme. A noter une participation en vidéo remarquée de Zoé Adjani, nièce d’Isabelle, qui lui ressemble de façon troublante. Opening Night est un objet théâtral hypnotique, une expérience fascinante servie par un Cyril Teste inspiré et des comédiens brillants.
Opening Night, d’après un scénario de John Cassavetes
Mise en scène Cyril Teste
Avec Isabelle Adjani, Morgan Lloyd Sicard, Frédéric Pierrot et la participation de Zoé Adjani
Du mardi au samedi à 20h30, matinées le samedi à 15h30 et le dimanche à 16h
Jusqu’au 26 mai 2019
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle - Paris 10
Réservations : 01 46 07 34 50
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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