Lundi Librairie : Sérotonine - Michel Houellebecq



Sérotonine - Michel Houellebecq : Florent-Claude Labrouste, quarante-six ans, ingénieur agronome au ministère de l’Agriculture poursuit une carrière triste, désabusé par la perte de ses idéaux et le manque de succès de ses initiatives. Il entretient une neurasthénie rampante qui peu à peu le submerge. Lorsqu’il tombe sur une vidéo porno zoophile de sa compagne, une japonaise calculatrice, vingt ans de moins que lui et avec laquelle il ne couche plus depuis longtemps, il décide que sa vie ne lui convient plus. Et décide de disparaître. Il pose sa démission, résilie le bail de son appartement et s’évanouit sans laisser de trace pour s’installer à l’hôtel Mercure de la porte d’Italie, dernier hôtel fumeur de la ville. Il se fait alors prescrire du Captorix, un antidépresseur qui stimule la production de sérotonine, hormone liée à l’estime de soi, à la reconnaissance obtenue au sein d’un groupe. Si le médicament lui permet de supporter le monde, il inhibe totalement la libido et rend impuissant. Il fume, picole, se laisse dériver, revisite ses amours passées, repense aux femmes qu’il a aimées. Florent se rend en Basse-Normandie où il a été heureux un jour avec Camille. Là, il retrouve un vieux camarade d’école d’ingénieur devenu agriculteur. Il tombe en pleine révolte des producteurs de lait, exsangues, victimes des quotas laitiers et de la politique agricole commune décidée à Bruxelles. 

Portrait sans concession d’un homme au bord du précipice, miroir de notre société engluée dans la médiocrité, ce roman aussi caustique que politique est porté par le regard lucide d’un Michel Houellebecq toujours aussi nihiliste. La provocation assassine, l’humour grinçant sont au service de l’analyse socio-politique fulgurante d’un monde dépourvu d’espoir. La solitude de l’homme moderne selon l’auteur reflète la réalité d’une fin de civilisation. L’intime et le politique entrent profondément en écho. Avec une ironie grinçante et une intuition puissante de l’air du temps, connaissance aigue de l’époque, Michel Houellebecq décrit notre époque. Le grain de sable dans le rouage bien huilé de la machine néo-libérale, observation acerbe, devient sous sa plume ultime matériel pour donner corps à sa représentation du réel.

Dans Sérotonine, le romancier s’attaque aux méfaits de l’industrialisation, dénonce le productivisme, fruit du modèle libéral et ses répercussions délétères. Si l’empathie est certaine, le tableau est dressé sans complaisance. Charge frontale contre l’Europe, le constat se fait amer tandis que s’annonce la fin désespérée de la paysannerie et des petits producteurs tués par la mondialisation. La contestation sociale, les manifestations populaires des agriculteurs entrent puissamment en écho avec les événements récents de l’actualité.

Provocateur, visionnaire pince-sans-rire, l’auteur caresse à rebrousse-poil le politiquement correct pour mieux décrire la grande léthargie contemporaine. Il dézingue à tout va la bien-pensance, s’en prend à Yves Simon, Christine Angot, Bataille et les écrivains de la NRF, vilipende Le Monde, Libération, se moque de la SNCF, tourne en dérision les bobos éco-responsables. Et finalement, ne fait que constater la misère morale de l’époque. L’Occident est sur le déclin, le processus de délitement irréversible.

Il fallait bien un médicament à Florent, pour supporter la laideur de notre monde. Anti-héros par excellence pour lequel Michel Houellebecq semble néanmoins éprouver beaucoup d’empathie, quadra exténué, désenchanté, il n’a plus goût à rien malgré sa molécule du bonheur en cachets. L’enlisement de ce solitaire dans la dépression offre un parallèle saisissant avec l’enlisement de nos sociétés. La lente décrépitude du personnage abandonné par le désir de vivre ressemble au processus d’autodestruction de nos sociétés. Si l’amour au cœur du roman apparaît comme la dernière valeur salvatrice, il demeure néanmoins promis à la faillite. Dans une atmosphère ouatée d’antidépresseur, Houellebecq déploie un grand livre métaphysique aussi tendre que douloureux, aussi noir que bouleversant. Peut-être prévoir une dose ou deux de Captorix avant de se lancer dans cette lecture…

Sérotonine - Michel Houellebecq - Editions Flammarion



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.