Lundi Librairie : La chair - Rosa Montero



La chair - Rosa Montero : Soledad, la soixantaine, est commissaire d’exposition pour la Bibliothèque Nationale de Madrid. Spécialiste de « l’étrange, du marginal, de l’hétérodoxe, du farfelu », elle se passionne pour un nouveau projet d’exposition consacrée aux artistes maudits. Si professionnellement elle est épanouie, cette séductrice qui a toujours refusé de se fixer ou d’avoir des enfants, vient de vivre un revers amoureux. Son amant quadragénaire l’a quittée en apprenant que sa femme était enceinte. Blessée, angoissée par l’idée de vieillir et d’être rejetée, Soledad décide d’apparaître lors d’une soirée à l’Opéra où le couple sera également présent, au bras d’un jeune homme spectaculaire engagé pour l’occasion. Alors qu’elle ne comptait que sur les services d’accompagnateur du gigolo, le choc provoqué par un incident violent va les faire basculer dans un autre type de relations tarifées.

Drôle, grinçante, cruelle, cette chronique d’une passion amoureuse, sous ses fausses allures de thriller, évoque avec un humour incisif, une sensibilité nuancée et une ironie stridente la sexualité des femmes de plus de soixante ans. Rosa Montero porte un regard implacable sur les paradoxes d’une héroïne, active, désirable mais qui perd pied confrontée au passage du temps. 

La romancière prête une lucidité salvatrice à son personnage de misanthrope, à la fois horripilante, égoïste nombriliste mais aussi troublante fragile, désespérée, pathétique même parfois. Obnubilée par le processus de détérioration irréversible, les défaillances du corps, Soledad est persuadée de vivre ses derniers feux avant péremption. Elle rêve de dominer la nature, les sentiments, soi-même et les autres afin d’apaiser une angoisse sourde, celle de devenir vieille, peur primale qui la renvoie au vide de l’existence, aux regrets et aux inassouvissements.

Si Soledad aime la chair et le plaisir, elle craint d’être repoussée, happée par le temps qui passe celui qui réveille les douleurs psychiques, les traumas d’enfance. Dans sa quête effrénée d’amour, elle laisse libre court à son angoisse de voir les hommes se détourner d’elle alors que guette la vieillesse et révèle cette peur viscérale de l’abandon.

Evoquant avec intelligence, le désir tu des femmes passé un certain âge, leur besoin d’aimer éludé, Rosa Montero interroge la honte du corps, celui que la société nous somme de ne plus montrer au-delà de quarante ans. En fil rouge, l’auteur trace une critique acide du milieu de l’art exaltant les vertus de la culture pour surpasser les douleurs intimes. Oeuvre sensuelle et touchante, ce roman recèle une véritable noirceur que viennent atténuer la causticité de la plume, l’intelligence des caractères et la profondeur de la réflexion.

La chair, de Rosa Montero - Traduction Myriam Chirousse - Editions Métailié - Edition de poche Points



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.