Gabriële - Anne Berest et Claire Berest : A l’aube du XXème siècle, la jeune Gabriële Buffet, héritière d’une respectable famille versaillaise, possède déjà l’esprit frondeur d’une féministe avant l’heure. Musicienne, elle s’est plongée dans les études avec passion, échappant ainsi à sa destinée, la menace d'un mariage bourgeois. Au sein d’une prestigieuse école berlinoise, elle parvient même à se faire admettre dans la classe de composition où elle est la seule femme. Lors de vacances chez ses parents, en 1908, elle a vingt-sept ans, son frère qui est peintre lui présente Francis Picabia. Impressionniste à succès, ce dernier traîne une réputation sulfureuse mais surtout il étouffe dans sa prison dorée de peintre à la mode et rêve de renouveler l’art tout entier. Renonçant à sa propre vocation, Gabriële, « la femme au cerveau érotique » va l’inspirer, l’aider à se réinventer et théoriser son travail. Elle sera l’épouse de Picabia, la grande amie de Guillaume Apollinaire, l’amante de Marcel Duchamp, la muse des précurseurs de l’avant-garde, une grande intellectuelle qui préférera laisser son nom dans l’ombre de ceux qu’elle va accompagner.
Anne Berest et Claire Berest, deux sœurs romancières, écrivent à quatre mains l’histoire de leur arrière-grand-mère qu’elles n’ont pas connue, celle de Gabriële Buffet-Picabia (1981-1985) morte à l’âge de 104 ans et qui a dédié sa vie à l’oeuvre de son mari, le peintre Francis Picabia. A travers ce grand récit familial, elles remontent la piste afin de combler par un sérieux travail d’enquête une sorte de béance dans l’arbre généalogique. Anne Berest et Claire Berest n’ont appris que tardivement l’existence de ces arrière-grands-parents, personnages importants de la révolution artistique du début du XXème siècle, ne réalisant la portée de cette parenté que bien plus tard encore. Descendantes de Vicente Picabia quatrième enfant du couple Francis-Gabriële, suicidé à l’âge de vingt-sept ans, père de leur mère Lélia Picabia, les deux écrivaines parviennent par le biais de cet ouvrage à se réconcilier avec la cruelle réalité d’un grand-père volontairement disparu très tôt.
Chronique d’une époque charnière dans l’histoire de l’art, Gabriële déploie avec panache le portrait fascinant d’une femme d’exception. Cette figure puissante, mais par choix en retrait et tombée dans l’oubli, a côtoyé et influencé les plus grands artistes de son temps. Femme paradoxale, éprise de liberté et soumise aux caprices de son époux, coureur joyeux incapable de résister aux danseuses, grand dépressif cyclothymique et consommateur compulsif de drogues. Attachée irrémédiablement à l’oeuvre de Picabia, Gabriële Picabia est l’accoucheuse des âmes et des arts. Musiciens, écrivains, poètes et peintres se pressent autour de cette grande théoricienne de l’art. Son rôle est prépondérant dans la naissance des avant-gardes, cubisme, futurisme, abstraction dadaïsme. Erudite insoumise, en avance sur son temps, elle fascine par son intelligence vive et séduit tous ceux qu’elle croise. Ses intuitions, ses fulgurances, ses échanges avec les futures grandes figures font éclore les talents. Gabriële les révèlent à eux-mêmes alors qu’ils rompent avec les codes de l’académisme, inventent des vocabulaires expressifs inédits.
La solide documentation historique est relayée avec bonheur par des passages romancés qui redonnent chair à tous ces caractères flamboyants et retranscrivent à la fois l’effervescence intellectuelle, le foisonnement artistique mais aussi les excès noctambules. De Paris à Saint Tropez, de New York à Zurich ou Barcelone, l’histoire d’amour plus cérébrale que sensuelle de Gabriële et Francis se vit dans une liberté absolue, en rébellion constante par rapport aux codes de la société. Ensemble, ils font sauter les carcans assumant pleinement leurs extravagances, couple monstrueux pas fait pour être parents, oubliant en chemin leurs enfants. Vaste fresque sur fond de destin de femme, Gabriële est un superbe hommage d’Anne Berest et Claire Berest à leur aïeule et un récit follement trépidant, tout à fait passionnant.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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