Cinéma : Silvio et les autres, de Paolo Sorrentino - Avec Toni Servillo, Elena Sofia Ricci, Riccardo Scamarcio


Petit affairiste amoral, Sergio Morra, qui est aussi dealer et proxénète à ses heures, rêve de faire la connaissance de Silvio Berlusconi. A force de manigances, il se rapproche du cercle des intimes. Il engage tous ses avoirs afin de louer une villa somptueuse juste en face de la propriété d’été sarde du Cavaliere. Dans l’espoir d’attirer l’attention du nabab, il y invite pléthore de jeunes femmes peu farouches et organisent des fêtes aussi décadentes que bruyantes. Au même moment, Silvio Berlusconi s’ennuie. Ecarté du pouvoir, il rumine un éventuel retour tandis qu’il tente de reconquérir sa femme Veronica, lassée des excès de son mari et des humiliations qu’il lui fait subir. Alors que les sirènes de la politique le rappellent à elles, Berlusconi remarque enfin le manège de Morra.







Après Youth en 2015 et la série The Young Pope en 2016, Paolo Sorrentino, revient avec un biopic baroque à la radicalité décapante. Long métrage incisif, stylisé à l’extrême, fresque vénéneuse et fascinante, le réalisateur, oscarisé en 2014 pour La Grande Bellezza, trace le portrait d’un homme, Silvio Berlusconi, aussi courtisé que redouté, portrait d’ensemble qui met en lumière les compromissions, les lâchetés et la servilité d’un entourage décadent. 

Le titre original Loro, Eux, se réfère directement à cette cour d’intrigants cupides, d’arrivistes cyniques, dont l’ambition n’a d’égale que l’aveuglement, avides de recueillir un peu de sa gloire, de son succès, de son argent. Eux, les autres, ce sont les affairistes médiocres éblouis par le succès, Riccardo Scarmacio, épatant dans le rôle de Sergio Morra mais aussi l’épouse amère et frustrée, incarnée par une magnifique Elena Sofia Ricci, d’une rare justesse, d’une sensibilité et d’une précision remarquable, qui donne toute sa plénitude dans une grande scène de règlements de compte dans la cuisine. 

Cinquième collaboration entre le réalisateur et son acteur fétiche, Toni Servillo, Silvio et les autres offre un rôle imposant au comédien. Le Cavaliere, sujet de toutes les attentions, n’apparait que quarante minutes après le début du film, attendu, désiré. Cette première apparition, Berlusconi est grimé, impose l’idée d’un clown dérisoire assez pathétique. Visage cireux, orange, uvéisé, implants capillaires gominés, grimace d’un sourire crispé inébranlable sur de fausses dents, la face factice de ce vieil homme toujours vorace n’est plus qu’un masque figé par la chirurgie. Et il faut toute la puissance d’interprétation de Toni Servillo pour saisir l’essence de l’homme derrière la mascarade. Cette maîtrise parfaite s’exprime notamment dans une scène fascinante au cours de laquelle pour se rassurer sur son sens du commerce, Berlusconi appelle une inconnue au hasard dans l’annuaire et cherche à lui vendre un appartement. Promoteur immobilier, magnat de la télévision, chef du gouvernement à trois reprises, pour ce mégalomane à l’ascension fulgurante, le mensonge est une seconde nature. 




Dans une atmosphère étrange, à la fois euphorique et terrifiante, Paolo Sorrentino filme la vulgarité affichée, l’érotisme latent qui convoquent les vertiges de la vacuité. Luxe extravagant des décors, profusion de créatures, extravagance des fêtes, tristes bacchanales, débauche et luxure en procèdent d’une même esthétique singulière qui accède à son paroxysme dans des séquences musicales clipesques. Cet objet filmique rutilant, doré sur tranche, d’une flamboyance mortifère, se révèle un pamphlet politique terrible, démesuré jusqu’au grandiose et terriblement lucide. 

Sur fond de désenchantement absolu, Paolo Sorrentino souligne avec virtuosité toutes les ambiguïtés, l’outrance et le goût de la provocation du personnage Silvio Berlusconi. Amoralité, dandysme et cruauté des jeux de pouvoir, le cinéaste exploite la dimension grotesque et théâtrale d’un personnage plus grand que nature, petit roi en son royaume d’intrigues et de manipulations. Il en extrait avec panache la satire cruelle d’un système, reflet de l’Italie contemporaine, scrutant le déclin avec une certaine forme d’angoisse communicative.

Silvio et les autres, de Paolo Sorrentino
Avec Toni Servillo, Riccardo Scamarcio, Elena Sofia Ricci, Kasia Smutniak, Euridice Axen
Sortie le 31 octobre 2018



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.