Lundi Librairie : La toile du monde - Antonin Varenne



La toile du monde - Antonin Varenne : Journaliste américaine libérée avant l’heure, personnalité anachronique élevée dans les grandes plaines du Nevada par un père aventurier et une mère humaniste, la scandaleuse Aileen Bowman se rend à Paris pour le compte du New York Tribune afin de couvrir l’Exposition Universelle de 1900. Affranchie des conventions, fougueuse et rebelle, la belle rousse a obtenu du préfet une dérogation afin de porter le pantalon alors que la loi l’interdit pour les femmes. Tandis qu’elle livre des articles classiques pour son employeur originel, elle écrit sous pseudonyme dans La Fronde, premier journal féminin et féministe, des papiers qui défraient la chronique. Introduite dans la société parisienne interlope par le sulfureux peintre Julius LeBlanc Stewart, elle visite les maisons closes et fréquente les lieux de mauvaise vie. Dans la Ville Lumière, sous l’impulsion de l’Exposition Universelle, le rêve moderne technologique se fait rêve de liberté. La première ligne du métropolitain reliant la porte de Vincennes à la porte Maillot va bientôt être inaugurée. L’électricité pour tous n’est plus une vague promesse. Rudolf Diesel, l’inventeur du moteur fonctionnant à l’huile d’arachide remporte un prix. Mais si Aileen s’est rendue à Paris, c’est pour résoudre une histoire familiale complexe. Elle est venue rejoindre Joseph, métis indien, fils de son frère adoptif mort de froid dans une réserve Sioux avec sa compagne. Violent, alcoolique, tourmenté par son double héritage, Joseph qui a fui les Etats-Unis, a été engagé comme figurant dans le Pawnee Bill’s Historic Wild West Show.

Fresque généreuse portée par une intrigue aux multiples rebondissements, La toile du monde plonge le lecteur au cœur d’un Paris grondant, vibrant, devenu centre du monde à l’occasion de l’Exposition Universelle. Sous la plume d’Antonin Varenne, l’évènement symbole de l’entrée dans une nouvelle ère évoque puissamment le basculement du siècle dans la modernité. Avec un rare talent de conteur, l’auteur trace le portrait, certes un peu idéalisé, de la Ville Lumière agitée par une fièvre progressiste trépidante. Jouant sur la frontière entre fiction et réalité, il ploie les faits historiques à l’aune de son imaginaire distillant un tempétueux souffle romanesque auquel il est difficile de résister. 

L’Exposition Universelle, 48 millions de visiteurs en 212 jours, signe l’apogée de la Belle Epoque, pinacle de l’Art Nouveau et aventure de la modernité fantasmée. Car la technologie est souvent associée à l’artifice dans ce décor de plâtre et de carton-pâte. La plupart des pavillons ne sont que de beaux décors de théâtres. Les constructions pérennes, Petit et Grand Palais, passerelle Debilly, les ponts Alexandre III, de l’Alma, d’Iéna, des Invalides, sont rares.

Antonin Varenne réussit avec brio cette plongée dans une époque bouillonnante, où tous les espoirs sont permis, tous les possibles semblent à portée de main. Dans le tumulte d’un cadre hors norme fascinant, Aileen Bowman se fait cicérone à travers la ville et à travers les grandes évolutions techniques, prémisses des mutations industrielles qui mèneront aux transformations sociétales. Le romancier rend avec acuité le foisonnement culturel et technologique qu’il incarne dans des personnages hauts en couleurs. Son héroïne fait la connaissance d’inventeurs et d’ingénieurs, d’artistes et d’intellectuels, celui qui travaille à la construction de la première ligne du métropolitain sous l’égide de Fulgence Bienvenüe, le peintre jugé décadent par les autorités classiques, les journalistes féministes. 

Progrès des sciences, évolution des mœurs, ouverture au monde, l’auteur insère néanmoins dans sa galerie de portraits un bémol strident. Joseph, le réprouvé, devient la voix qui exprime la confrontation entre le monde ancien et le monde moderne, porte-parole sacrifié d’un peuple décimé. Demeure Aileen, la libre-penseuse, l’idéaliste, l’émancipée, formidable personnage féminin trop en avance sur son époque pour y trouver place mais à laquelle, Antonin Varenne visiblement très épris, offre une happy end.

La toile du monde - Antonin Varenne - Editions Albin Michel



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.