Théâtre : Berlin Kabarett, de et mis en scène par Stéphan Druet - Avec Marisa Berenson, Stéphane Corbin, Sebastian Galeota - Théâtre de Poche Montparnasse



Ancienne prostituée rongée par la rancœur, Kirsten dirige un cabaret interlope dans le Berlin du début des années 1930. Son fils Viktor s’y produit tous les soirs dans un grand numéro de transformiste. Il préfère les garçons. Elle ne l’accepte pas mais exploite son talent sans état d’âme. Dans la petite troupe, il y a Karl, auteur de chansons et poète, ancien-amant de Kirsten et puis Fitz, le pianiste compositeur. Tous deux sont juifs. Alors que le parti National Socialiste poursuit son inexorable ascension, les persécutions contre les juifs, les communistes et les homosexuels s’amplifient. Et si la licence artistique permet à Kirsten de poursuivre son activité, d’échapper à la censure des nouveaux maîtres du pays, elle n’hésite pas à rendre service aux nazis en échange de leur protection. Pour détourner le regard du drame qui se prépare, de la barbarie en marche, mieux vaut s’étourdir de divertissements transgressifs.





Par la magie du théâtre, la cave parisienne du Poche Montparnasse se change chaque soir en cabaret berlinois. Stéphan Druet, molière du meilleur spectacle musical pour son Histoire du soldat, revient avec un spectacle musical qui trouve son inspiration dans les films Cabaret de Bob Fosse ou encore L’Ange bleu. Evoquant une période sombre de l’histoire allemande, il signe une satire énergique à travers laquelle il satisfait son goût du paradoxe. Berlin Kabarett souligne les ambiguïtés d’une époque qui fut également un creuset de créativité artistique. Les mots de Stéphan Druet se mêle avec pertinence à ceux de Brecht tandis que le tour de chant réjouissant imaginé par Stéphane Corbin fait le lien entre ses propres compositions, la musique de L’opéra de quat’ sous de Kurt Weill ou encore des airs popularisés par Maurice Chevalier.  

La troupe menée par Marisa Berenson, lumineuse en élégante maîtresse de cérémonie, est épatante. Le personnage de taulière sulfureuse incarné par cette dernière se révèle aussi fascinant dans sa détermination à survivre qu’effrayant par son cynisme et son opportunisme. Chanteur, danseur, acrobate, comédien, Sebastian Galeota, dans le rôle de Viktor, le fils honni, déploie une énergie rare, présence intense teintée de grâce. Jacques Verzier dans celui de Karl – en alternance avec Olivier Breitman – est aussi remarquable qu’émouvant.




Dans ce cabaret, au bord de l’abîme, alors que le tumulte de l’Histoire va se déchaîner, la frénésie de la vie nocturne, sa truculence recèle des charmes vénéneux. Le tempo frénétique, l’exubérance des numéros dissimulent toute la désespérance dont sont imprégnés les personnages. L’angoisse de la menace bien réelle se pare des couleurs du burlesque. Le grotesque ronflant ne provoque pourtant que des rires grinçants. Bientôt les plaisirs acides font place à la souffrance, à l’horreur dans un dénouement déchirant 

Evocation puissante d’une époque, les échos contemporains de ce spectacle d’une grande intelligence sont troublants. La résurgence des nationalismes, le rejet de l’autre forment bel et bien notre inquiétante réalité. Beaucoup d’émotion, des rires aussi, un très beau moment.

Berlin Kabarett, de Stéphan Druet
Mise en scène Stéphan Druet
Avec Marisa Berenson, Stéphane Corbin, Sebastian Galeota, Jacques Verzier ou Olivier Breitman, Loïc Olivier ou Hugo Chassaniol aux percussions, Victor Rosi au cornet

Jusqu’au 15 juillet 2018 - Complet - Reprise du 15 novembre 2018 au 6 janvier 2019
Du jeudi au samedi à 21h et le dimanche à 17h30 

Théâtre de Poche Montparnasse 
75 boulevard du Montparnasse - Paris 6
Tél : 01 45 44 50 21



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.