Le Sans Dieu - Virginie Caillé-Bastide : En 1709, un terrible hiver fait régner la famine sur le royaume de France. A Plouharnel, une petite bourgade bretonne proche de Carnac, Arzhur de Kerloguen, modeste hobereau, voit sa famille décimée par ce grand malheur. Lorsque Jehan, le dernier de ses sept enfants, meurt à son tour, Gwenola, son épouse, sombre dans la folie. Et quand le prêtre de la paroisse, préférant répondre à l'appel d'un riche seigneur souffrant d'un rhume, refuse de se rendre au chevet du petit mourant pour lui administrer les derniers sacrements, Kerloguen entre dans une profonde fureur teintée de violent désespoir. Il saccage la sacristie de l'église, renie son Dieu et décide de quitter cette terre de malheur après avoir confié le domaine à son frère. Suivi de loin par Morvan, un jeune domestique sans père, Arzhur choisit de prendre la mer. Six ans plus tard, dans la mer des Caraïbes, un terrible capitaine pirate fait régner la terreur à bord de son bateau le Sans Dieu. Homme sans pitié, celui qui se fait appeler L'Ombre écume les océans, dépouille les galions marchands, trucide ceux qui croisent sa route. Quand le Sans Dieu attaque L'Urca de Sevilla, un trois-ponts espagnol, le butin est d'importance. Seuls deux hommes sont épargnés et faits prisonniers. Tristan, jeune mousse enrôlé de force, qui a quelques talents de cuistot et le père Anselme, un jésuite qui a appris, au cours d'une mission d'évangélisation, les secrets médicinaux des populations autochtones d'Amérique du Sud. Entre le Padre, représentant de Dieu, et l'ombrageux capitaine s'engage un affrontement philosophique et théologique.
Roman d'aventure porté par un souffle épique, Le Sans Dieu n'est pas sans rappeler nos lectures d'enfance et notamment Stevenson. De rebondissements, en coups de théâtre, Virginie Caillé-Bastide fait montre d'un talent de conteuse rare. Ecriture chantournée, dans un style XVIIIème siècle, plume flamboyante inspirée du vieux français, elle ponctue son texte d'archaïsmes piquants, de jurons savoureux. Le récit s'attache avec panache aux codes de la littérature de genre. Les éléments associés à l'univers de la piraterie - flibuste, batailles navales, abordages, ripailles, trésors - trouvent ici une place de choix, pour notre plus grand plaisir.
L'épopée navale suit son cours au gré des alliances et des trahisons. Finement travaillés, contrastés, les personnages hauts en couleur sont sans foi ni loi, ni Dieu ni maître. La romancière s'attache à chacun lui redonnant une histoire, un passé. Forbans, repris de justice, gibiers de potence ou simples malheureux frappés par le sort, ils ont laissé leur existence et leur nom derrière eux pour se réinventer, plus libres, sans attaches. Face-Noire, Visage-sans-Viande, Palsembleu, Bois-sans-Soif, sur le Sans Dieu, ils prennent leur revanche sur le sort et la providence, cornaqués par L'Ombre, capitaine implacable. Homme complexe, tourmenté, celui-ci se sent coupable de ne pas avoir pu sauver ses propres enfants, morts de faim. L'idée de filiation, de transmission traverse tout le roman par le biais des liens qui unissent le capitaine à Tristan ou à Morvan, le fidèle lieutenant.
Si la rédemption semble impossible à Kerguolen, une seule voie s'ouvre à lui, celle de la rébellion contre le destin et l'ordre établi. Dans l'expression tangible de sa haine et de son désespoir, il cherche une forme de soulagement inatteignable car l'ennemi est en chacun de nous. L'Ombre, pirate sanguinaire, père de famille déchiré qui a abandonné sa foi en Dieu et en l'homme va trouver dans son nouvel interlocuteur, le Padre, un moyen d'exorciser ses démons.
Le père Anselme, humaniste horrifié par la violence de ses coreligionnaires dans les colonies, est lui-même une sorte de paria dans son propre Ordre. S'il voit tout d'abord en Kerguolen un monstre, des relations que nouent les deux adversaires va naître une estime profonde. Leur vision du monde irréconciliables s'opposent mais ils trouvent à travers leurs joutes spirituelles une forme d'échanges éclairés sur le sens de la vie.
Si l'auteur joue sur les images de l'inconscient collectif, la trame du roman est solidement amarrée à la réalité par un travail rigoureux de documentation. Virginie Caillé-Bastide replace cette aventure dans un contexte historique exact, évoquant des faits précis ayant trait à la traite des esclaves, à la colonisation des Amériques, à la République des Corsaires sur l'île de Providence. Puissante évocation d'un temps où la vie d'un homme ne valait pas grand-chose, palpitant roman de pirates, Le Sans Dieu est une belle aventure, une histoire délicieusement régressive.
Le Sans Dieu - Virginie Caillé-Bastide - Editions Héloïse d'Ormesson - Sélection Cultura Talents à découvrir 2017
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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