Cinéma : Au revoir là-haut, de Albert Dupontel - Avec Albert Dupontel, Nahuel Pérez Biscayart - Par Lisa Giraud Taylor



La guerre laisse les rescapés des tranchées tentant de retrouver une vie normale en essayant de se fondre dans la masse et de retrouver du travail afin de subvenir à leurs besoins. En 1919, Albert et Edouard, qui se sont entraidés dans les moments les plus difficiles, tant sur le champ de bataille qu’après-guerre, décident de lutter à leur façon. Edouard, avec sa moitié de visage, défiguré par un impact lors d’une bataille, suite à une trahison de son lieutenant, et Albert, liés par une solide amitié, mettent en place une escroquerie aux monuments aux morts, dangereuse et perfide. 






Il faut bien l’avouer, à la lecture du roman de Pierre Lemaître, prix Goncourt 2013 faut-il le rappeler, je n’arrivais pas à imaginer une adaptation cinématographique à la hauteur, trop dense, trop impressionnant. Force est de constater qu’Albert Dupontel, l’inclassable et le défendeur des personnages marginaux, y est parvenu, avec un certain brio. Bien sûr, il prend quelques libertés avec le roman mais ses choix ont été approuvés par l’écrivain, co-scénariste. A titre d’exemple, on peut noter que les multiples masques qu’utilise Édouard sont bien plus nombreux que ceux évoqués dans le livre.

L'un des thèmes principaux est de montrer le retour à la vie civile des soldats de la Grande Guerre, les mutilés, un brin dérangés, qui n’ont pas bénéficié de l’accueil à la mesure de leurs sacrifices. Point d’orgue, également, dans le roman, cette arnaque du siècle, cette folle aventure aussi misérable que belle. 






La magnifique et cruelle séquence d’ouverture nous montre la violence des tranchées et débute le film sur un esthétisme envoûtant. Il y a du Jeunet dans le film de Dupontel ! Ledit film fait état de pléthores de personnages, avec une reconstitution historique des plus soignées et des acteurs aussi odieusement brillants (Laurent Lafitte et Niels Arestrup) que d’une infinie douceur (Emilie Dequenne).  Jouant avec les thèmes du masque porté par Edouard, Dupontel fait écho aux réflexions, à cette époque, aux regards des vivants sur les gueules cassées et les rescapés des tranchées. 

Justement, Edouard, joué par l’excellent acteur argentin, Nahuel Perez Biscayart, se grime derrière ses mêmes masques, grogne et mène une vie d’artiste marginal, puisque officiellement mort pour son milieu aristocrate. A contrario, son copain, Albert, campé donc par Dupontel, qui rappelle de temps à autre Charlie Chaplin par sa dégaine, est un brin naïf mais profondément attachant. Edouard, petit à petit, émerge de cette tristesse, cette colère, pour se laisser envahir par sa passion. Il se crée une palette de visages afin de retrouver sa joie de vivre, une liberté artistique ainsi qu’une échappatoire aux blessures passées.




Au revoir là-haut n’est donc pas un film sur la guerre mais un pamphlet, une satire de cette société qui a engendré des laissés pour compte, des oubliés, des sans-visages pour oublier. C’est un film politiquement incorrect, édifiant sur la période et les magouilles post-Grand Guerre. Peut-être un peu grotesque avec une musique pompeuse et un brin de mièvrerie mais… un film fort et beau qui vous donnera l’envie de relire (ou lire) l’œuvre de Pierre Lemaître. Et de regarder de plus près les monuments aux morts dédiés à ces poilus.

Au revoir là-haut, de Albert Dupontel
Avec Albert Dupontel, Nahuel Pérez Biscayart, Niels Arestrup, Laurent Lafitte, Emilie Dequenne, Mélanie Thierry, Héloïse Balster, Philippe Uchan
Sortie le 25 octobre 2017

Lisa Giraud Taylor est écrivain, photographe et blogueuse. Son roman Liverpool Connexion est disponible aux Editions Trinômes et son tout dernier opus Karl et Nina chez P.L.B Editeur. Vous pouvez également retrouver sa plume piquante sur Le blog d'une ItemLiz Girl. Cette jeune femme hyperactive - mais comment fait-elle ? - collabore régulièrement avec les webzines Lords of Rock et So Busy Girls où elle nous régale de chroniques pleines d'esprit, ultra punchy dans un style bien à elle. Humour ravageur et pertinence sont ses marques de fabrique.