Paris : Rue des Vignoles, promenade dans les impasses du quartier de Charonne - XXème



La rue des Vignoles, établie sur les traces d'un vieux sentier rural de l'ancienne commune de Charonne, a conservé un certain charme villageois malgré de nombreuses réhabilitations. En façade sur rue, l'architecture simple des anciens faubourgs se mêle avec bonne intelligence aux nouvelles maisons d'architecte. Mais ce qui fait sa particularité, ce sont les nombreux passages et impasses, une quinzaine au total, disposés perpendiculairement à la voie. Ce tissu urbain original hérité d'une tradition ouvrière et artisanale du XIXème siècle doit la singularité de son parcellaire à l'histoire du quartier qui est intimement liée à la vigne. Pavillonnaire très serré, courettes privées, persistance d'une activité artisanale et d'ateliers d'artistes, ces impasses surprennent par leur étroitesse, une composition d'un autre temps. Lorsque la réhabilitation n'a pas été possible, elles ont été entièrement réinventées par la modernité tout en respectant l'identité du bâti. Le micro-quartier écologique Eden Bio dont les immeubles contemporains relativement bas se fondent dans la typologie du paysage originel est un bel exemple de ce processus. Petite histoire de la rue des Vignoles et grand récit de la transformation de Paris.











Le nom de Charonne apparaît autour de l'an 1000 mais n'est utilisé officiellement qu'à partir du XIIIème siècle. Le village renommé pour ses vins se développe le long de la Grand-rue, actuelle rue Saint-Blaise, autour du château de Charonne et de l'église Saint-Germain. Les congrégations religieuses y possèdent de nombreux pressoirs. Terres maraîchères et vignobles forment le centre d'une vie agreste. Si à l'origine les terrains sont assez vastes, les particularités de la vigne à Paris, ses modes d'exploitation, les réduisent peu à peu. En effet, lors des partages entre héritiers, la pleine propriété des parcelles doit être assurée et la stricte égalité, même condition d'exposition et de pente, respectée. De génération en génération, les parcelles sont partagées en lanières toujours plus étroites disposées dans le sens de la pente le long des anciens chemins.

Lors de la construction de l'enceinte des Fermiers généraux en 1790, Charonne présente l'aspect bucolique de fermettes éparses entre les vignes. La taxe imposée aux denrées entrant dans Paris va pousser cabaretiers, marchands de vin, hôteliers à développer leur activité au-delà du mur d'octroi. Comme à Belleville voisin, les guinguettes des Fontarabies et du Petit Charonne, dont les plus célèbres Au rat gouteux, A l'entonnoir, Aux noces de Cana, A la satisfaction, connaissent un franc succès.










L'enceinte fortifiée de Thiers construite de 1841 à 1844 marque une nouvelle frontière entre les faubourgs et Paris. Dans une tentative de contrôle de l'octroi, la voirie est développée à Charonne. Une vaste opération prévoit l'élargissement de dix-neuf voies communales et l'abaissement de la rue de Bagnolet jugée trop pentue et peu praticable entre l'église et le Pavillon de l'Ermitage. Les chemins de traverse disparaissent. A l'initiative des puissants marchands de vin l'éclairage public est installé.

Lorsque Charonne est rattaché à Paris en 1860, le village en lui-même, des lieux-dits au-delà des Fortifs, les Mézières, les Quatre Chemins, les Garennes, le parc de Bagnolet disparu et plusieurs terrains des communes de Montreuil et Bagnolet, l'ensemble ne représente que 27 hectares et 17 000 habitants. La partie de Charonne où se trouve notre actuelle rue des Vignoles est alors faiblement urbanisée. Le cadastre fait à peine mention de deux lieux-dits, Hautes-Vignoles et Basses-Vignoles dont la rue des Basses-Vignoles débouche sur Paris. L'unification administrative et fiscale va avoir des conséquences importantes sur le développement du quartier et sa démographie. 










La population ouvrière chassée du centre de Paris par les grands travaux d'Haussmann trouve refuge dans les anciens faubourgs. Propriétaires et lotisseurs se retrouvent seuls acteurs de l'aménagement urbain. Ils divisent encore les parcelles étroites héritées des vignobles, découpant les terrains en lots toujours plus petits toujours plus profitables. L'urbanisation tardive explique la persistance de ce parcellaire en lanières étroites et profondes hérité de l'ancien vignoble. Cette micro-parcellisation donne naissance aux nombreuses impasses perpendiculaire à la rue des Vignoles. A partir de 1873, l'ancien sentier des Basses-Vignoles devient officiellement la rue des Vignoles.

L'industrie se développe peu à peu à Charonne. Industrie modeste, métiers difficiles, on y trouve vacheries, abattoirs de porc, atelier de cuir vernis et la plus grande manufacture de bougies de la capitale installée rue Aumaire (actuelle rue Vitruve). Les lavoirs semi-industriels sont nombreux. Fabriques d'allumettes, de colle, de Bleu de Prusse côtoient les ateliers de métallurgie spécialistes de la fonte et affinage des métaux, de la tôle vernie. S'y ajoutent scieries mécaniques, un four à plâtre et des manufactures de poterie que complète une fameuse distillerie d'eau de vie. Cette industrialisation, moins rapide cependant qu'à Belleville, ouvre les premiers foyers de contestation ouvrière. 

Dans cette droite ligne, depuis 1936, le numéro 33 de la rue des Vignoles accueille le siège des organisations anarchistes espagnoles en exil. La Confédération nationale du travail y est domiciliée depuis 1970. L'immeuble a été racheté en 1994 par la mairie de Paris. La Ville aurait bien cherché depuis à déloger le syndicat mais sans succès.











Au début du XXème siècle, le quartier est un curieux mélange de terrains vagues champêtres et labyrinthes de ruelles étroites bordées de maisons basses, d'hôtels meublés miséreux, bals musette et ateliers. En 1920, Charonne est encore relativement peu urbanisé, les immeubles se font rares. Si peu à peu les terrains vagues sont investis, les constructions gardent la modestie des faubourgs jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Reconstruction de la ville et crise du logement vont modifier profondément le tissu urbain. 

Entre les rues de Charonne, Bagnolet et rues de Montreuil, Avron, le quartier de la Réunion, carré compris entre les stations de métro Alexandre Dumas, Buzenval, Maraîchers, connaît de profondes mutations à partir des années 1970 à l'instar de Belleville. Histoire d'une urbanisation heurtée, violente voire douloureuse qui interroge le défi de la ville moderne. Se reconstruire, se réinventer tout en préservant l'âme de la cité et le lien social. 










Les travaux ayant progressé moins rapidement qu'à Belleville, le parcellaire hérité des vignobles est préservé ainsi que nombre de vestiges architecturaux propices à aux activités artisanales. Dans les années 80, de nombreux squats s'établissent rue des Vignoles dont le numéro 67, squat emblématique de la lutte pour le logement, adresse de la première permanence du Comté des mal logés. A partir du milieu des années 1990, la municipalité lance une nouvelle politique de modernisation, des projets de ZAC, pour lutter contre l'insalubrité. Aux petits propriétaires sont proposées des aides pour la réhabilitation de leurs biens qui sont rapidement jugées insuffisantes. La résistance citoyenne s'organise. 

Aujourd'hui, la rue des Vignoles présente le curieux visage de la ville moderne entre les petites impasses préservées dans leur jus, anciens logements ouvriers réhabilités et celles entièrement refaites dans l'esprit du quartier - avec plus ou moins de bonheur. L'esprit de village y perdure malgré les changements et il fait bon vivre à Charonne.

La rue des Vignoles
Du 50 boulevard de Charonne au 44 rue des Orteaux - Paris 20



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
- Le guide du promeneur 20è arrondissement - Anne-Marie Dubois - Editions Parigramme, 1993
- Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Editions de minuit, 1985
- Villages et Faubourgs de L'ancien Paris. Histoire d'un espace urbain - Bernard Rouleau - Editions Seuil, 1985
- Paris des faubourgs, formation, transformations - Sous la direction de Jacques Lucan Editions Picard, 1996
- Promenades dans toutes les rues de Paris - Félix Rochegude - Editions Hachette, 1910 

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