Dans le jardin de l'ogre - Leïla Slimani : Adèle Robinson mène une vie bourgeoise sans aspérités qui ne la satisfait pas. Mariée à Richard, un jeune médecin promis à une belle carrière, elle est mère d'un petit garçon Lucien. Journaliste, elle couvre des sujets de politique internationale. Mais ce travail qui ne l'intéresse pas a été obtenu grâce à un piston faute d'avoir pu faire une carrière de comédienne. L'instinct maternel qui devrait la combler, elle ne le ressent pas vraiment et son apparent bonheur conjugal est synonyme d'ennui. Ce qu'elle veut c'est "être regardée, être désirée". Frustrée par cette existence qu'elle juge terne, Adèle multiplie les aventures furtives, les amants de passage dont elle oublie aussitôt le visage. Les rencontres sexuelles sont de plus en plus sordides, sans joie, sans plaisir même. Les compulsions se font irrépressibles. Adèle vacille au point de mettre en péril vies professionnelle et privée.
Portrait de femme au bord du gouffre, dévorée par une faim insatiable, "Dans le jardin de l'ogre" est un texte brutal, troublant, tout en nuances et contradictions. Porté par une prose glacée, percutante, viscérale, cette fable amorale interroge la sexualité féminine et le rapport au corps. Leïla Slimani dissèque la désespérance du conflit entre l'âme et la chair dans un récit en forme de descente aux enfers d'une toxicomane accro au sexe. Frontalité de pages très crues, sauvagerie de situations exposées de manière clinique, l'auteur distille un malaise latent. La plume est chirurgicale, le style sec, l'addiction sexuelle n'a rien d'excitant, elle n'est que pathologique.
Adèle refuse d'être celle que la société voudrait qu'elle soit. Elle rejette les rôles de mère, d'épouse, de professionnelle, leur préférant ses vies multiples d'amante insatiable. Ses seuls désirs, entre détresse et passivité, sont des pulsions irrationnelles, irrépressibles, maladives. "Elle voudrait n'être qu'un objet au milieu d'une horde, être dévorée, sucée, avalée tout entière. Qu'on lui pince les seins, qu'on lui morde le ventre. Elle veut être une poupée dans le jardin de l'ogre". Le désir est son maître, elle ne s'appartient pas, n'existe que dans le regard des autres. Si l'héroïne se tourne vers l'érotisme pour redonner goût à une existence insipide, elle ne trouve que la honte, le dégoût de soi jusqu'à la complète déchéance. Femme double à la dérive, prisonnière de ses pulsions, l'obscénité, la perversion des rencontres ne font que lui révéler la misère de la condition humaine.
Roman blafard, lumière au néon comme sur une table d'autopsie, "Dans le jardin de l'ogre" révèle d'une rare puissance littéraire. Sans fausse pudeur, sans complaisance, Leïla Slimani livre le récit vertigineux d'une autodestruction. Un texte audacieux au dénouement inattendu.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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