Cinéma : Moi, Daniel Blake, de Ken Loach - Avec Dave Johns, Hayley Squires - Par Lisa Giraud Taylor



Newcastle, Royaume-Uni. A 59 ans, Daniel Blake, veuf, est victime d’une attaque cardiaque. Il décide de faire les démarches pour être reconnu comme invalide. Alors qu’il tente de faire appel du premier refus essuyé, l’administration le somme de chercher un nouveau travail, contre l’avis du médecin qui l’estime « incapable de travailler ». Lors de ses pérégrinations, il croise Katie, maman de deux enfants en bas âge, qui est engluée dans une situation précaire. Elle a été contrainte de quitter Londres et ses loyers exorbitants et, subsiste grâce à la banque alimentaire. Daniel et Katie s’entraident tant bien que mal.






Présenté au festival de Cannes en mai dernier, ayant été récompensé de la Palme d’Or, malgré quelques critiques, Moi, Daniel Blake signe le retour de Ken Loach avec son univers social et ses charges contre le pouvoir établi et les situations absurdes. Ce drame social est dans la lignée des films précédents tels que Riff Raff, Raining Stones, Land and Freedom, My Name is Joe ou bien Ladybird, nouveau coup de gueule d’un indigné permanent. Ken Loach dénonce, encore et toujours, le manque d’humanité de la société actuelle, les méandres d’une administration absurde et inhumaine, et l’impassibilité de la communauté. 

Fidèle à ses valeurs, Ken Loach filme des petits détails qui évoquent tout : les difficultés face à l’Internet, l’administration calculant une attente afin de décourager les ayants-droits, le secours populaire et son humiliation, le manque de dignité de certains personnages au sein du système, etc. Il montre le portrait d’un homme qui se débat, pris au piège, entre sa volonté et sa croyance en la bienveillance du système et la lassitude face aux miettes qu'on lui accorde.  Il filme toujours avec pudeur (la scène de distribution des vivres) mais avec humour (glacé), et une tendresse évidente envers ses personnages.





Daniel Blake est un homme usé, perdu face à l’avancée informatique mais qui reste digne, avec un flegme britannique et une volonté de s’en sortir. Il met sa bonté, son humour et son énergie dans la bataille et tout cela le rend attachant et humain. Réellement humain, profondément. Le lien qu’il tisse avec Katie est délicat mais empli de solidarité et de fraternité. Ken Loach n’a rien perdu de son envie de faire des piqûres de rappel et de pointer que tout ceci est une question de vie ou de mort, de faim, de misère, d’humiliation et de dignité.

Quelles que soient les situations, les personnages imaginés par Ken Loach, et son fidèle scénariste Paul Laverty, restent dignes et humains, fidèles à leurs valeurs et à leurs convictions. En cela, la prestation de Dave Johns est à signaler, lui qui incarne ce bonhomme et bouleversant Daniel Blake à la perfection. Cet homme qui n’est pas assez malade pour avoir une pension d’invalidité mais trop malade pour travailler. Situation kafkaïenne par excellence. 

Certains peuvent arguer que Ken Loach reste dans son habituel combat "la classe ouvrière contre le reste du monde", qu’il a fait un film manichéen, démagogique et sentimentaliste, "plein de pathos", mais ce film n’est pas sans rappeler le contexte du film français La Loi du Marché. Une autre histoire, une autre vision, une autre façon de filmer, mais le même constat.

Bien sûr, les détracteurs diront que les chômeurs chez Loach sont toujours gentils/solidaires et que les méchants sont méchants, méchants, méchants . Pourtant, pour ceux qui ont connu les méandres de l’administration, face à l’absence d’un papier, d’un sourire ou d’une impossibilité d’obtenir une voix humaine par téléphone ("tapez 12, *, #, 24, au revoir ") ne pourront que comprendre et apprécier ce film.




Ce film est simplement la dénonciation du système anglais (et mondial) qui argue le cynisme et la productivité face à la détresse des « gens » et il fait autant de bien qu’il nous désespère. Il est à préciser que Ken Loach a évoqué sa retraite (il a fêté ses 80 ans en juin dernier) et semble vouloir tirer sa référence avec le poing levé, sa fierté, sa fidélité à ses idéaux, son envie de lutter contre l’absurdité et sa protestation, en guise d’adieux. J’aime à penser qu’il va revenir, encore, longtemps et qu’il gardera cet esprit qui fait réfléchir les spectateurs, qui les bousculent, les fait pleurer, les fait rire, les fait vivre, tout simplement.

Moi, Daniel Blake, de Ken Loach
Avec Dave Johns, Hayley Squires, Natalie Ann Jamieson, Micky Mc Gregor, Colin Coombs, Bryn Jones, Dylan McKiernan
Sortie : 26 octobre 2016



Lisa Giraud Taylor est écrivain, photographe et blogueuse. Son roman Liverpool Connexion est disponible aux Editions Trinômes. Vous pouvez également retrouver sa plume piquante sur Le blog d'une ItemLiz Girl. Cette jeune femme hyperactive - mais comment fait-elle ? - collabore régulièrement avec les webzines Lords of Rock et So Busy Girls où elle nous régale de chroniques pleines d'esprit, ultra punchy dans un style bien à elle. Humour ravageur et pertinence sont ses marques de fabrique.