Dans un quartier populaire du centre de Manille, Ma’Rosa survit comme elle peut en compagnie de son mari et de ses quatre enfants. Leur pauvreté est aussi celle de leurs voisins avec lesquels ils forment une communauté où le commerce se fait par l’intermédiaire d’échanges, dettes et avoirs. Dans sa boutique, on pense d’abord que Ma’ Rosa se contente de revendre plus chers des produits achetés en gros dans des grandes surfaces. On déchante face à une réalité nettement plus sordide, celle d’un trafic de drogue, dont les enfants de la ville même sont des consommateurs friands. La descente de la police qui vient arrêter Ma’Rosa et son mari nous amène à découvrir la corruption des forces de l’ordre, dernière touche apportée à ce tableau alarmant.
Ma’Rosa résonne avec l’élection à la tête des Philippines en début d’année de Rodrigo Duterte, qui a lancé une campagne de lutte musclée contre les narcotrafiquants avec l’exécution sommaire de milliers d’entre eux. Brillante Ma Mendoza a néanmoins lancé son projet bien avant ces événements, en s’inspirant d’une histoire vraie. Auteur de films de fictions aussi bien que documentariste, le cinéaste se fait ici le porte-parole de la population pauvre qui représente 80% de son pays. La description sans fard du quotidien de Ma’ Rosa et sa famille inscrit son film dans la lignée du néo-réalisme italien, et plus particulièrement des premiers films de Pasolini comme Accatone et Mamma Roma.
Le réalisme de Ma’ Rosa s’opère par la construction d’un environnement qui donne une impression de plongée dans le Manille contemporain. Dès les premières séquences, la caméra de Mendoza n’hésite pas à quitter un temps ses protagonistes pour nous faire voir l’activité grouillante des rues de leur quartier. On ressent une impression de film monde, de panorama contrasté du Manille contemporain. Mendoza passe d’un point de vue à l’autre, insuffle par ce système de relais narratifs un mouvement continu à son film. Refusant le cinéma psychologique, le réalisateur préfère être dans l’immédiateté de l’action et fait fonctionner son récit sur un principe d’ultimatum. La forme brute de Ma’Rosa, déstabilisante par ses nombreux flous à l’image et ses postsynchronisations au son, crée un sentiment d’instabilité et de confusion qui collent parfaitement à la tension dramatique et à l’effet de réel.
Pris par le mouvement du film, on est aussi touchés par la détresse de personnages pris dans le piège tendu par une administration corrompue. En femme forte chef de famille, Jaclyn Jose fait preuve d’une présence saisissante qui lui a valu le prix d’interprétation à Cannes. Si peu de place et de temps est accordé à l’émotion dans le film, Mendoza compense largement ce manque avec un dernier plan, instant de pause bouleversante. Kirsten Dunst, membre du jury, en aurait pleuré, et ce ne sera pas la seule.
Ma’Rosa de Brillante Ma Mendoza
Avec Jaclyn Jose, Julio Diaz, Felix Roco, Andi Eigenmann
Sortie le 30 novembre 2016
Cinéphile averti, Didier Flori est l’auteur de l’excellent blog consacré au cinéma Caméra Critique que je ne saurais trop vous conseiller. Egalement réalisateur et scénariste, c’est avec ferveur qu’il œuvre dans le cadre de l’association Arte Diem Millenium qui soutient les projets artistiques de diverses manières, réalisation, promotion, distribution… Style ciselé, plume inspirée et regard attentif, goûts éclectiques et pointus, ses chroniques cinéma révèlent avec énergie toute la passion pour le 7ème art qui l'anime.
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