Cartographie de l'oubli - Niels Labuzan : A la suite de la conférence de Berlin en 1884 qui conduit au partage de l'Afrique entre les puissances occidentales coloniales, les territoires du Sud-Ouest africain situés entre les fleuves Cunene et Orange sont placés sous protectorat allemand. En 1889, à la tête d'un contingent militaire de vingt et un hommes, le capitaine Curt von François débarque dans la baie de Lüderitz où il retrouve le haut commissaire Heinrich Göring. L'empereur Guillaume II projette de créer une colonie de peuplement, en signant des accords avec les tribus pour apporter la modernité dont les Allemands se figurent être les étendards. Jakob Ackerman, dix neuf ans, le visage parcouru d'une profonde cicatrice causé par une morsure de chien, s'est engagé pour satisfaire les desiderata de son père ancien militaire. Au milieu du désert, cet anti-héros timide pense pouvoir se réinventer.
Mais la mission civilisatrice de l'empire germanique est porteuse de menaces. Entre conquêtes et atrocités, le pire est à venir et Ackerman se révèle bon petit soldat obéissant. Alors que le Sud-Ouest africain se révèle riche de ressources minières, les ambitions coloniales de l'Empire germanique se renforcent et mènent à des revendications territoriales, à la spoliation des indigènes en commençant par mater les rébellions des peuples indigènes, les Namas à la tête desquels se trouvent Hendrick Witbooi et les Hereros de Samuel Maharero puis progressivement au massacre de masse.
En 2004, lors d'une journée commémorant le massacre des Hereros reconnu seulement en 1990 lors de l'indépendance de la Namibie, un jeune métis issu d'une famille dans laquelle les hommes sont allemands et les femmes namibiennes, interroge son passé et son ascendance, un double héritage porteur de contradictions alors que son métissage qui lui fait ressentir qu'il n'appartient à aucun peuple.
A travers les destins de deux hommes à un siècle d'écart, cette chronique puissante et ambitieuse questionne l'Histoire, la manière dont elle se construit, se transmet. Réflexions sans concession sur l'historiographie, ce récit de la colonisation et de sa méconnaissance, de l'oubli des faits, évoque avec force la naissance d'une modernité annonciatrice des horreurs du XXème siècle.
Ce grand livre complexe d'une rare ampleur ausculte le statut de la mémoire et la valeur de l'Histoire telle qu'elle nous est donnée racontée, décryptant avec horreur les justifications d'actes abominables. Occupation en terre africaine, création de réserves indigènes, asservissement des peuples autochtones, lorsque les Hereros se soulèvent en 1904, le général Lothar von Trotha lance une répression sanglante d'une ampleur encore jamais connue.
Ce massacre systématisé est considéré par certains historiens comme le premier génocide du XXème siècle. Création de camps de concentration, travaux forcés, élaboration de théories qui seront au cœur de l'idéologie du IIIème Reich, Niels Labuzan s'appuyant sur une permanente réflexion trouve dans le récit de cette sinistre épopée les racines du nazisme. Héritage de Lothar von Trotha, descendance du gouverneur Göring, influence du Dr Eugen Fischer, auteur de la théorie de l'hygiène raciale, le XXème siècle allemand semble avoir débuté en Afrique. Un roman puissant, ambitieux, passionnant autant que troublant.
Cartographie de l'oubli - Niels Labuzan - Editions JC Lattès - Sélection Cultura Talents à découvrir 2016
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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